Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/80

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Elle retint Hélène pressée contre elle un peu plus longtemps que moi. Elle la laissa partir plus difficilement ; ce fut Hélène que son œil suivit ; ce fut pour elle qu’elle soupira tristement une seconde fois, et qu’elle essuya une larme.

En atteignant le dortoir, nous entendîmes la voix de Mlle Scatcherd ; elle examinait les tiroirs, elle était justement à celui d’Hélène Burns, et, en entrant, celle-ci fut vivement réprimandée. On lui déclara que le lendemain on lui attacherait à l’épaule une demi-douzaine d’objets dépliés.

« Il est bien vrai que mes tiroirs étaient dans un désordre honteux, me dit tout bas Hélène ; j’avais l’intention de les ranger, et je l’ai oublié. »

Le lendemain, Mlle Scatcherd écrivit en gros caractères, sur un morceau de carton, ce mot :


Désordonnée


puis elle l’attacha sur le front d’Hélène, sur ce front bon, élevé, doux, intelligent.

Jusqu’au soir, la jeune fille supporta son châtiment avec patience et sans avoir un seul instant conçu de ressentiment ; car elle le considérait comme une punition méritée.

Au moment où Mlle Scatcherd s’en alla, après la classe du soir, je courus à Hélène. Je lui arrachai du front ce papier, et je le jetai au feu.

Cette rage, dont Hélène était incapable, avait dévoré mon âme pendant tout le jour, et des larmes brûlantes avaient coulé le long de mes joues. La vue de cette triste résignation m’avait mis au cœur une souffrance intolérable.

Une semaine environ après ce que je viens de raconter, Mlle Temple, qui avait écrit à M. Loyd, recevait une réponse ; il paraît que son récit s’accordait avec le mien. Mlle Temple ayant donc rassemblé toute l’école, déclara qu’elle avait pris des informations sur les fautes dont Jane Eyre avait été accusée par M. Brockelhurst, et qu’elle se trouvait heureuse de la déclarer innocente ; les maîtresses me donnèrent des poignées de main et m’embrassèrent ; un murmure de plaisir se fit entendre parmi mes compagnes.

Délivrée d’un poids aussi accablant, je pris dès lors la résolution de me mettre à l’œuvre, et de me frayer un chemin au milieu de toutes les difficultés.

Je travaillai courageusement, et mes succès furent proportionnés à mes efforts : ma mémoire, qui n’était pas naturellement très bonne, s’améliora par la pratique ; l’exercice aiguisa