Aller au contenu

Page:Brontë - Jane Eyre, II.djvu/135

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


— Ne la faites plus parler maintenant, Saint-John, dit Diana en me voyant m’arrêter ; elle n’est pas en état d’être excitée ; venez vous asseoir sur le sofa, mademoiselle Elliot. »

Je tressaillis involontairement ; j’avais oublié mon nouveau nom. M. Rivers, à qui rien ne semblait échapper, l’eut bientôt remarqué.

« Vous dites que votre nom est Jane Elliot ? me demanda-t-il.

— Je l’ai dit, et c’est en effet le nom par lequel je désire être appelée pour le moment ; mais ce n’est pas mon véritable nom, et, quand je l’entends, il sonne étrangement à mes oreilles.

— Vous ne voulez pas dire votre véritable nom ?

— Non ; je crains par-dessus tout qu’on ne découvre qui je suis, et j’évite tout ce qui pourrait trahir mon secret.

— Et vous avez bien raison, dit Diana. Maintenant, mon frère, laissez-la tranquille un moment ! »

Mais Saint-John, après avoir réfléchi quelque temps, reprit avec son ton imperturbable et sa pénétration ordinaire :

« Vous ne voudriez pas accepter longtemps notre hospitalité ; vous voudriez vous débarrasser, aussitôt que possible, de la compassion de mes sœurs, et surtout de ma charité (car j’ai bien remarqué la distinction que vous faisiez entre nous : je ne vous en blâme pas, elle est juste) ; vous désirez être indépendante.

— Oui, je vous l’ai déjà dit ; montrez-moi ce que je dois faire ou comment je dois me procurer de l’ouvrage : c’est tout ce que je vous demande. Envoyez-moi, s’il le faut, dans la plus humble ferme ; mais, jusque-là, permettez-moi de rester ici ; car j’aurais bien peur s’il fallait recommencer à lutter contre les souffrances d’une vie vagabonde.

— Certainement vous resterez ici, me dit Diana en posant sa main blanche sur ma tête.

— Oh ! oui » répéta Marie avec la sincérité peu expansive qui lui était naturelle.

— Vous le voyez, me dit Saint-John ; mes sœurs ont du plaisir à vous garder, comme elles auraient du plaisir à garder et à soigner un oiseau à demi gelé, qu’un vent d’hiver aurait poussé vers leur demeure. Quant à moi, je me sens plutôt disposé à vous mettre en état de vous suffire à vous-même. Je ferai mes efforts pour atteindre ce but ; mais ma sphère est étroite : je ne suis qu’un pauvre pasteur de campagne ; mon secours sera des plus humbles, et si vous dédaignez les petites choses, cherchez un protecteur plus puissant que moi.

— Elle vous a déjà dit qu’elle voulait bien faire tout ce qui était honnête et en son pouvoir, répondit Diana ; et vous savez,