Page:Brontë - Jane Eyre, II.djvu/178

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— Oui, répondis-je ; mais quant à moi, je ne pourrais pas continuer toujours cette existence : j’ai besoin de jouir de mes propres facultés aussi bien que de cultiver celles des autres, et il faut que j’en jouisse maintenant. Ne rappelez ni mon corps ni mon esprit vers l’école ; j’en suis sortie, et je suis disposée à profiter pleinement des vacances. »

Le visage de Saint-John devint sérieux.

« Eh bien ! dit-il ; quelle ardeur soudaine ! que voulez-vous donc faire ?

— Je veux être aussi active que possible ; d’abord je vous prierai de donner la liberté à Anna et de chercher quelque autre personne pour vous servir.

— Avez-vous besoin d’elle ?

— Oui ; je voudrais qu’elle vînt avec moi à Moor-House. Diana et Marie arriveront dans une semaine, et je veux qu’elles trouvent tout en ordre.

— Je comprends. Je croyais que vous vouliez partir pour faire quelque excursion ; j’aime mieux qu’il en soit ainsi. Anna ira avec vous.

— Alors dites-lui de se tenir prête pour demain ; voilà la clef de l’école, je vous remettrai bientôt celle de ma ferme. »

Il la prit.

« Vous avez l’air bien joyeuse, me dit-il ; je ne comprends pas complètement votre gaieté, parce que je ne sais pas quelle tâche va remplacer pour vous celle que vous quittez. Quelles intentions, quelles ambitions avez-vous ? Enfin, quel est le but de votre vie ?

— Ma première intention est de nettoyer (comprenez-vous toute la force de ce mot ?) de nettoyer Moor-House du haut en bas ; ma seconde est de frotter tout avec de la cire, de l’huile et un nombre infini de torchons, jusqu’à ce que chaque objet redevienne bien brillant ; ma troisième, d’arranger les chaises et les tables, les lits et les tapis, avec une précision mathématique ; ensuite, je vous ruinerai en tourbe et en charbon pour faire de bon feu dans toutes les chambres ; enfin, les deux jours qui précéderont l’arrivée de vos sœurs seront employés par Anna et moi à battre des œufs, à mélanger des raisins, à râper des épices, à pétrir des gâteaux de Noël, à hacher des rissoles et à célébrer tous les rites culinaires qu’on ne peut expliquer qu’imparfaitement à ceux qui, comme vous, ne sont pas parmi les initiés. En un mot, mon intention est de tenir toute chose prête et en parfait état pour l’arrivée de Marie et de Diana ; mon ambition est de leur montrer le beau idéal d’une réception affectueuse.