Page:Brontë - Jane Eyre, II.djvu/191

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Oh ! Saint-John, m’écriai-je, ayez pitié de moi ! »

J’implorais quelqu’un qui ne connaissait ni pitié ni remords, quand il s’agissait d’accomplir ce qu’il regardait comme son devoir. Il continua :

« Dieu et la nature vous ont créée pour être la femme d’un missionnaire ; vous avez reçu les dons de l’esprit et non pas les charmes du corps ; vous êtes faite pour le travail et non pas pour l’amour. Il faut que vous soyez la femme d’un missionnaire, et vous le serez ; vous serez à moi ; je vous réclame, non pas pour mon plaisir, mais pour le service de mon maître.

— Je n’en suis pas digne ; ce n’est pas là ma vocation, » répondis-je.

Il avait compté sur ces premières objections et il n’en fut point irrité. Il était appuyé contre la montagne, avait les bras croisés sur la poitrine et paraissait parfaitement calme. Je vis qu’il était préparé à une longue et douloureuse opposition, et qu’il s’était armé de patience pour continuer jusqu’au bout, mais qu’il était décidé à sortir victorieux de la lutte.

« Jane, reprit-il, l’humilité est la base de toutes les vertus chrétiennes. Vous avez raison de dire que vous n’êtes pas digne de cette œuvre ; mais qui en est digne ? Et ceux qui ont été véritablement appelés par Dieu se sont-ils jamais crus dignes de cette vocation ? Moi, par exemple, je ne suis que poussière et cendre, et, avec saint Paul, je reconnais en moi le plus grand des pécheurs ; mais je ne veux pas être entravé par ce sentiment de mon indignité. Je connais mon chef ; il est aussi juste que puissant, et, puisqu’il a choisi un faible instrument pour accomplir une grande œuvre, il suppléera à mon insuffisance par les richesses infinies de sa providence. Pensez comme moi, Jane, et, comme moi, ayez confiance. Je vous donne le rocher des siècles pour appui ; ne doutez pas qu’il pourra supporter le poids de votre faiblesse humaine.

— Je ne comprends pas la vie des missionnaires, repris-je, je n’ai jamais étudié leurs travaux.

— Eh bien, moi, quelque humble que je sois, je puis vous donner le secours dont vous avez besoin. Je puis vous tracer votre tâche heure par heure, être toujours près de vous, vous aider à chaque instant. Je ferai tout cela dans le commencement ; mais je sais que vous pouvez, et bientôt vous serez aussi forte et aussi capable que moi, et vous n’aurez plus besoin de mon secours.

— Mais où trouverai-je la force nécessaire pour accomplir cette tâche ? je ne la sens pas en moi. Je ne suis ni émue ni excitée pendant que vous me parlez ; aucune flamme ne s’allume en moi,