Page:Brontë - Jane Eyre, II.djvu/201

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parente, je désire une autre affection que cette philanthropie générale que vous étendez même jusqu’aux étrangers.

— Certainement, dit-il, votre désir est raisonnable, et je suis loin de vous regarder comme une étrangère. »

Ces mots, dits d’un ton tranquille et froid, étaient mortifiants et irritants. Si j’avais écouté ma colère et mon orgueil, je l’aurais immédiatement quitté ; mais il y avait en moi quelque chose de plus fort que ces sentiments. Je vénérais les talents et les principes de mon cousin ; j’appréciais son affection, et la perdre était une douloureuse épreuve pour moi ; je ne voulais pas renoncer si vite à la reconquérir.

« Faut-il nous séparer ainsi, Saint-John, et, quand vous partirez pour l’Inde, me quitterez-vous sans m’avoir dit une seule parole douce ? »

Il cessa de contempler la lune et me regarda en face.

« Quand j’irai aux Indes, Jane, je vous quitterai ? Comment ! ne venez-vous pas avec moi ?

— Vous m’avez dit que je ne le pouvais pas, à moins de vous épouser.

— Et vous ne le voulez pas, vous persistez dans votre résolution ? »

On ne se figure pas combien les gens froids peuvent effrayer par la glace de leurs questions. Leur colère ressemble à la chute d’une avalanche, leur mécontentement à une mer glacée qui vient de se briser.

« Non, Saint-John, dis-je pourtant, je ne vous épouserai pas ; je persiste dans ma résolution. »

L’avalanche se remua et avança un peu, mais elle ne tomba pas encore.

« Je vous demanderai de nouveau pourquoi ce refus, poursuivit Saint-John.

— Autrefois, dis-je, c’était parce que vous ne m’aimiez pas ; maintenant, c’est parce que vous me détestez presque. Si je vous épousais, vous me tueriez, et vous me tuez déjà. »

Ses joues et ses lèvres se décolorèrent entièrement.

« Je vous tuerais, je vous tue déjà ! Vos paroles sont de celles qu’on ne devrait pas prononcer. Elles sont violentes, indignes d’une femme et fausses. Elles trahissent le malheureux état de votre esprit ; elles mériteraient des reproches sévères ; elles semblent inexcusables : mais c’est le devoir d’un chrétien de pardonner à son frère jusqu’à soixante-dix-sept fois. »

Le mal n’était que commencé ; je venais de l’achever. Je désirais effacer de son esprit la trace de ma première offense, et je