Page:Brontë - Jane Eyre, II.djvu/215

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du côté de la tour de la vieille église et je me dis : « Est-il allé chercher un abri dans l’étroite maison de marbre des Rochester ? »

Il me fallait des renseignements, et je ne pouvais les obtenir qu’à l’auberge ; j’y retournai promptement. L’hôte m’apporta lui-même mon déjeuner dans le parloir. Je le priai de fermer la porte et de s’asseoir, parce que j’avais quelques questions à lui faire ; mais je ne savais par où commencer, tant je craignais sa réponse ! et pourtant le spectacle que je venais d’avoir sous les yeux m’avait un peu préparée à un récit douloureux. L’hôte était un homme d’âge mûr et d’apparence respectable.

« Vous connaissez sans doute le château de Thornfield ? hasardai-je enfin.

— Oui, madame, j’y ai demeuré autrefois.

— Vous ! Pas de mon temps, pensai-je ; car votre visage m’est étranger.

— J’ai été le sommelier du défunt M. Rochester, » ajouta-t-il.

Défunt ! Il me sembla que je venais de recevoir en pleine poitrine le coup que je cherchais à éviter.

« Défunt ! murmurai-je ; est-il donc mort ?

— Je parle du père de M. Édouard, le maître actuel, » dit-il.

Je respirai de nouveau et mon sang coula librement ; ces mots m’avertissaient que M. Édouard, mon M. Rochester à moi (Dieu veille sur lui !) était vivant. Le maître actuel ! mots doux à entendre ! il me semblait que maintenant je pouvais tout apprendre, avec un calme relatif du moins ; puisqu’il n’était pas dans le tombeau, je croyais pouvoir apprendre avec tranquillité qu’il se fût réfugié même aux antipodes.

« M. Rochester est-il au château de Thornfield ? » demandai-je.

Je savais bien quelle réponse je recevrais, mais je désirais éloigner le plus possible toute question positive sur le lieu de sa résidence.

« Oh ! non, madame, me répondit-il ; personne n’y demeure. Vous n’êtes pas du pays ; sans cela vous sauriez ce qui est arrivé l’automne dernier. Le château n’est plus qu’une ruine ; il a été brûlé vers l’époque des moissons. C’est un horrible malheur ; des valeurs énormes ont été détruites ; c’est à peine si l’on a pu sauver quelques meubles. Le feu s’est déclaré dans la nuit, et, avant que la nouvelle fût connue à Millcote, le château était déjà un amas de flammes ; c’était un affreux spectacle ; j’en ai été témoin.