Page:Brontë - Le Professeur.djvu/6

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camarades et sur nos professeurs, nous nous entendions à merveille ; et, si je venais à faire allusion à quelque tendre sentiment, à quelque vague aspiration vers un idéal dont la beauté m’entraînait, ta froideur sardonique me trouvait d’une complète indifférence ; je me sentais supérieur à tes railleries, et c’est une impression que j’éprouve encore actuellement.

Il y a bien des années que je ne t’ai vu, bien des années que je n’ai reçu de tes nouvelles. En jetant dernièrement les yeux sur un journal de notre comté, j’ai aperçu ton nom ; cela m’a fait songer au passé, aux événements qui ont eu lieu depuis que nous nous sommes quittés, et je me suis mis à t’écrire ; je ne sais pas ce que tu as fait ni ce que tu es devenu, mais tu apprendras, si tu veux bien lire cette lettre, comment la vie s’est comportée envers moi.

J’eus d’abord, en sortant du collége, une entrevue avec l’honorable John Seacombe et avec lord Tynedale, mes oncles maternels. Ils me demandèrent si je voulais entrer dans l’Église : lord Tynedale m’offrit la cure de Seacombe, dont il dispose ; et mon autre oncle m’insinua qu’en devenant recteur de Seacombe-cum-Scaife il pourrait m’être permis de placer à la tête de ma maison et de ma paroisse l’une de mes six cousines, ses filles, pour lesquelles j’éprouvais une égale répugnance.

Je repoussai les deux propositions. L’Église est une belle carrière, mais j’aurais fait un fort mauvais ecclésiastique. Quant à la femme, l’idée seule d’être lié pour toujours à l’une de mes cousines me produisait l’effet d’un horrible cauchemar ; elles sont jolies, leur éducation a été très-soignée ; mais ni leurs talents ni leurs charmes n’ont jamais pu éveiller le moindre écho dans mon âme ; et songer à passer les longues soirées d’hiver au coin du feu du rectorat de Seacombe, en tête-à-tête avec l’une d’elles,… Sarah, par exemple, cette