Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/106

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— Blessé ! m’écriai-je avec colère. S’il n’est pas tué, il en restera idiot ! Oh ! je m’étonne que sa mère ne sorte pas de sa tombe pour voir ce que vous faites de lui. Vous êtes pire qu’un païen… traiter de cette façon votre chair et votre sang !

Il essaya de toucher l’enfant qui, en se sentant avec moi, avait aussitôt cessé ses sanglots de terreur. Mais, au premier doigt que son père posa sur lui, il recommença de crier de plus belle et se débattit comme s’il allait entrer en convulsions.

— Ne le touchez pas, repris-je. Il vous hait… tout le monde vous hait… voilà la vérité ! Une heureuse famille que vous avez là : et un bel état que celui auquel vous êtes arrivé !

— J’arriverai à mieux encore, Nelly, ricana cet homme égaré, recouvrant toute sa dureté. À présent, allez-vous-en et emportez-le. Et toi, Heathcliff, écoute-moi ! Mets-toi bien hors de ma portée, et que je ne t’entende pas ! Je ne voudrais pas te tuer cette nuit… à moins, peut-être, que je ne mette le feu à la maison ; mais cela dépendra de ma fantaisie.

Sur ce, il prit une bouteille de brandy dans le buffet et s’en versa un grand verre.

— Non, ne buvez pas, suppliai-je. Mr. Hindley, prenez garde. Ayez pitié de ce malheureux enfant, si vous ne vous souciez pas de vous-même.

— N’importe qui vaudra mieux pour lui que moi-même, répondit-il.

— Ayez pitié de votre âme ! dis-je en essayant de lui arracher le verre de la main.

— Moi ! Au contraire, j’aurai grand plaisir à l’envoyer à la perdition pour punir son Créateur, s’écria le blasphémateur. Voilà pour sa cordiale damnation !

Il avala la liqueur et nous ordonna avec impatience