Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/152

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regardai longuement le bloc usé par le temps ; en me baissant, j’aperçus près du pied un trou encore plein de coquilles d’escargots et de cailloux que nous nous amusions à entasser là avec des choses plus périssables. J’eus la vision, aussi nette que si elle eût été réelle, du compagnon de mon enfance assis sur l’herbe flétrie, sa tête brune et carrée penchée en avant et sa petite main creusant la terre avec un morceau d’ardoise. « Pauvre Hindley ! » m’écriai-je involontairement. Je tressaillis : mes yeux eurent un instant l’illusion que l’enfant levait la tête et me regardait en face ! L’illusion se dissipa en un clin d’œil ; mais je sentis aussitôt un désir irrésistible d’être à Hurle-Vent. La superstition me pressa de céder à cette impulsion : s’il était mort ! pensai-je… ou s’il allait bientôt mourir ! Si cette apparition était un présage de mort ! À mesure que j’approchais de la maison, mon agitation grandissait ; parvenue en vue d’elle, je tremblais de tous mes membres. L’apparition m’avait devancée : elle était debout, regardant à travers la barrière. Telle fut ma première idée en apercevant un petit garçon aux boucles emmêlées, aux yeux bruns, qui appuyait son frais visage contre les barreaux. Puis la réflexion me suggéra que ce devait être Hareton, mon Hareton, pas très changé depuis que je l’avais quitté dix mois auparavant.

— Dieu te bénisse ! mon chéri, m’écriai-je, oubliant instantanément mes craintes folles. Hareton, c’est Nelly ! Nelly, ta nourrice.

Il recula hors de portée de mon bras et ramassa un gros silex.

— Je suis venue voir ton père, Hareton, ajoutai-je.

Je devinais par son geste que, si par hasard Nelly vivait