Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/204

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

creusai la cervelle pour trouver le moyen de donner un peu plus de cordialité à ses paroles, quand je les répéterais, et d’adoucir le refus qu’il avait opposé à ma demande de quelques simples lignes pour consoler Isabelle. Je crois bien qu’elle me guettait depuis le matin : je la vis qui regardait derrière la fenêtre, comme je montais la chaussée du jardin, et je lui fis signe ; mais elle recula, comme si elle craignait d’être observée. J’entrai sans frapper. On ne peut imaginer de spectacle plus triste, plus lugubre que celui que présentait cette salle autrefois si gaie ! Je dois avouer que, si j’eusse été à la place de la jeune femme, j’aurais au moins balayé le foyer et essuyé les tables avec un torchon. Mais elle était déjà gagnée par le contagieux esprit d’incurie qui l’environnait. Sa jolie figure était pâle et indolente ; ses cheveux n’étaient pas bouclés ; quelques mèches pendaient lamentablement, d’autres étaient roulées sans soin sur sa tête. Elle ne s’était probablement pas déshabillée depuis la veille au soir. Hindley n’était pas là. Mr Heathcliff était assis à une table, en train de feuilleter quelques papiers dans son portefeuille ; mais il se leva quand j’entrai, me demanda très amicalement comment j’allais et m’offrit une chaise. Au milieu de tout ce qu’il y avait là, lui seul avait l’air décent ; je trouvais qu’il n’avait jamais eu meilleure apparence. Les circonstances avaient tellement modifié leurs positions respectives qu’un étranger l’aurait certainement pris pour un gentleman de naissance et d’éducation, et sa femme pour une parfaite petite souillon. Elle s’avança vivement à ma rencontre et tendit la main pour recevoir la lettre qu’elle attendait. Je secouai la tête. Elle ne voulut pas comprendre mon geste, me suivit près d’un buffet où j’allai déposer mon chapeau et me sollicita à voix basse de lui remettre