Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/217

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habitude de fermer les portes pendant la durée du service. Mais, ce jour-là, le temps était si doux et si agréable que je les ouvris toutes grandes et, pour tenir mon engagement, comme je savais qu’il allait venir, je dis à mon compagnon que notre maîtresse avait bien envie d’avoir des oranges et qu’il lui fallait courir au village en chercher quelques-unes qu’on paierait le lendemain. Il partit et je montai.

Mrs Linton était assise, comme à l’accoutumée, dans l’encoignure de la fenêtre ouverte, vêtue d’une robe blanche flottante, un léger châle sur les épaules. Sa longue et épaisse chevelure avait été en partie coupée au début de sa maladie et elle la portait à présent relevée en simples tresses sur le front et sur la nuque. Elle était très changée, comme je l’avais dit à Heathcliff ; mais, quand elle était calme, ce changement donnait à sa beauté une apparence surnaturelle. L’éclat de ses yeux avait fait place à une douceur rêveuse et mélancolique ; ils ne semblaient plus s’attacher aux objets qui l’environnaient ; ils paraissaient toujours fixés au loin, très loin, au delà de ce monde, aurait-on dit. Puis la pâleur de son visage — dont l’aspect hagard avait disparu quand elle avait repris des chairs — et l’expression particulière que lui donnait son état mental, tout en rappelant douloureusement ce qui en était cause, ajoutaient au touchant intérêt qu’elle éveillait : ces signes contredisaient — pour moi, certainement, et pour tous ceux qui la voyaient, je pense — les preuves plus palpables de sa convalescence et lui imprimaient la marque d’un dépérissement fatal.

Un livre était ouvert devant elle, sur le rebord de la fenêtre, et par moments une brise à peine perceptible en agitait les feuillets. Je pensai que c’était Linton qui l’avait