Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/233

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ont erré sur la terre. Sois toujours avec moi… prends n’importe quelle forme… rends-moi fou ! mais ne me laisse pas dans cet abîme où je ne puis te trouver. Oh ! Dieu ! c’est indicible ! je ne peux pas vivre sans ma vie ! je ne peux pas vivre sans mon âme !

Il frappa de la tête contre le tronc noueux ; puis, levant les yeux, se mit à hurler, non comme un homme, mais comme une bête sauvage frappée à mort de coups de couteaux et d’épieux. J’aperçus plusieurs taches de sang sur l’écorce ; sa main et son front en étaient maculés ; la scène dont j’étais témoin n’était sans doute que la répétition de scènes analogues qui avaient eu lieu pendant la nuit. Je ne puis dire que ma compassion en fut excitée : j’en fus plutôt épouvantée. Pourtant, j’hésitais à le quitter ainsi. Mais, à l’instant qu’il se ressaisit assez pour s’apercevoir que je l’observais, il m’ordonna d’une voix tonnante de partir, et j’obéis. Il n’était pas en mon pouvoir de le calmer ni de le consoler.

Les obsèques de Mrs Linton avaient été fixées au vendredi qui suivit sa mort. Jusqu’à ce moment, son cercueil, parsemé de fleurs et de feuilles odoriférantes, resta ouvert dans le grand salon. Linton passait là les jours et les nuits, veilleur qui ne cédait jamais au sommeil, et — circonstance ignorée de tous, sauf de moi — Heathcliff, passa dehors les nuits au moins, sans s’accorder non plus aucun repos. Je n’eus pas de communication avec lui ; mais je sentais qu’il avait dessein d’entrer, s’il pouvait. Le mardi, un peu après la tombée de la nuit, comme mon maître, accablé de fatigue, avait dû se retirer pour une couple d’heures, j’entrai et j’ouvris une des fenêtres : touchée de sa constance, je voulais lui donner une chance d’offrir à l’image flétrie