Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/241

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

adressait à Dieu, il le confondait étrangement avec le démon. Après avoir achevé ces édifiantes oraisons — et elles duraient en général jusqu’à ce qu’il fût complètement enroué et que sa voix s’étranglât dans son gosier. — il repartait ; toujours droit vers la Grange. Je suis surprise d’Edgar n’ait pas envoyé chercher un agent de police pour le faire arrêter. Quant à moi, quelque chagrin que j’eusse de la mort de Catherine, je ne pouvais m’empêcher de considérer comme une fête ces heures où j’étais délivrée d’une oppression dégradante.

Je repris assez de courage pour écouter sans pleurer les éternelles homélies de Joseph, pour aller et venir dans la maison d’un pas moins furtif que celui d’un voleur effrayé. Croiriez-vous que j’avais pris l’habitude de pleurer à tout ce que disait Joseph ? Mais Hareton et lui sont vraiment de détestables compagnons. J’aimerais mieux rester avec Hindley et subir ses horribles propos qu’avec « le p’tit maît’ » et son fidèle défenseur, cet odieux vieillard ! Quand Heathcliff est là, je suis souvent obligée de me réfugier à la cuisine dans leur société, ou de grelotter dans les chambres inhabitées pleines d’humidité. Quand il n’y est pas, comme c’était le cas cette semaine, j’installe une table et une chaise au coin du feu dans la salle et je ne m’occupe pas de la manière dont Mr Earnshaw emploie son temps ; pas plus d’ailleurs qu’il ne se mêle de ce que je fais. Il est plus calme maintenant que naguère, quand on ne le provoque pas ; plus sombre, plus abattu, et moins furieux. Joseph affirme que c’est un homme changé ; que le Seigneur a touché son cœur et qu’il est sauvé « comme par le feu ». Je n’ai pas encore pu découvrir les signes de ce changement favorable ; mais ce n’est pas mon affaire.