Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/343

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désirer que je lui parlasse. Je me bornai à le prier de laisser l’animal tranquille, sans quoi il recevrait une ruade. Il répondit avec son accent vulgaire : « sa ruade ne m’ferait pas grand mal », en considérant avec un sourire les membres de Minny. J’avais presque envie de lui en faire faire l’expérience ; mais déjà il s’était avancé pour ouvrir la porte. En soulevant le loquet, il regarda en l’air du côté de l’inscription du fronton et me dit, avec un mélange stupide de gaucherie et de vanité :

— Miss Catherine ! je peux lire ça, à présent !

— Admirable ! m’écriai-je. Je vous en prie, faites-nous voir comme vous êtes devenu habile.

Il épela en ânonnant, syllabe par syllabe, le nom : Hareton Earnshaw.

— Et les chiffres, lui dis-je d’un ton d’encouragement, voyant qu’il s’était arrêté net.

— Je ne peux pas encore les lire.

— Oh ! quel butor ! dis-je en riant de tout mon cœur de son échec.

L’imbécile me regarda, bouche bée, avec une sorte de ricanement sur les lèvres, tout en fronçant les sourcils ; il avait l’air de se demander s’il pouvait partager ma gaieté et s’il devait y voir une aimable familiarité, ou bien du mépris, ce qui était vraiment le cas. Je dissipai ses doutes en reprenant tout à coup ma gravité et en lui disant de s’en aller, car j’étais venue pour voir Linton et non lui. Il rougit. — la clarté de la lune me permit de m’en apercevoir — lâcha le loquet et s’éloigna furtivement, parfaite image de la vanité mortifiée. Il s’imaginait sans doute être aussi accompli que Linton, parce qu’il était arrivé à épeler son propre nom ; et il était absolument déconfit que je n’eusse pas de lui la même opinion.