Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/77

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et me rappelai que le vieil Earnshaw venait toujours quand tout était nettoyé, m’appelait brave fille et me glissait un shilling dans la main comme cadeau de Noël. Cela me fit penser à la tendresse qu’il avait pour Heathcliff, à sa crainte que celui-ci ne fût négligé quand lui-même aurait disparu ; j’en vins naturellement à méditer sur la situation actuelle du pauvre garçon, et des chansons je passai aux larmes. Il me vint pourtant bientôt à l’esprit qu’il serait plus sensé d’essayer de remédier à quelques-uns des torts dont il était victime que de verser des pleurs sur ces torts ; je me levai et sortis dans la cour pour le chercher. Il n’était pas loin : je le trouvai dans l’écurie, il caressait le poil luisant du nouveau poney et donnait à manger aux autres bêtes, comme à l’ordinaire.

— Dépêchez, Heathcliff ! lui dis-je, il fait si bon dans la cuisine ; et Joseph est en haut. Dépêchez et laissez-moi vous faire beau avant que Miss Cathy descende ; vous pourrez alors vous asseoir ensemble, vous aurez la cheminée tout entière à vous deux et vous bavarderez tant que vous voudrez jusqu’à l’heure du coucher.

Il continua son travail sans même tourner la tête de mon côté.

— Allons, venez-vous ? repris-je. Il y a pour chacun de vous un petit gâteau, qui est presque cuit ; et il vous faut une demi-heure pour vous habiller.

J’attendis cinq minutes, mais, n’obtenant pas de réponse, je le quittai. Catherine soupa avec son frère et sa belle-sœur ; Joseph et moi partageâmes un repas assez peu cordial, assaisonné de reproches d’un côté et d’impertinences de l’autre. Le gâteau et le fromage de Heathcliff restèrent sur la table toute la nuit à la disposition des fées. Il s’arrangea pour poursuivre son travail jusqu’à neuf heures, puis regagna sa chambre,