Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/92

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passa complètement dans mes mains. Mr Earnshaw, pourvu qu’il le vît bien portant et ne l’entendît jamais crier, était satisfait, en ce qui concernait l’enfant. Quant à lui-même, il était au désespoir. Son chagrin était de ceux qui ne se traduisent pas en lamentations. Il ne pleurait ni ne priait ; il se répandait en malédictions et en défis, exécrait Dieu et les hommes et s’abandonnait à une dissipation effrénée. Les domestiques ne purent endurer plus longtemps sa tyrannie et le désordre de sa conduite ; Joseph et moi fûmes les deux seuls qui consentirent à rester. Je n’avais pas le courage d’abandonner l’enfant confié à ma charge ; de plus, vous savez, j’avais été la sœur de lait de Hindley et j’excusais plus facilement sa conduite que n’aurait fait une étrangère. Joseph demeura pour tourmenter les fermiers et les ouvriers ; et aussi par ce que c’était sa vocation d’être là où il y avait beaucoup de perversité à réprouver.

Les mauvaises manières du maître et la mauvaise société dont il s’entourait furent un joli exemple pour Catherine et pour Heathcliff. Le traitement infligé à ce dernier eût suffi à faire d’un saint un démon. En vérité on eût dit, à cette époque, que ce garçon était réellement possédé de quelque esprit diabolique. Il se délectait à voir Hindley se dégrader sans espoir de rémission, et de jour en jour la sauvagerie et la férocité de son caractère se marquaient plus fortement. Je ne saurais vous décrire, même d’une façon imparfaite, l’infernale maison où nous vivions. Le pasteur cessa de venir, et l’on peut dire qu’à la fin plus une personne convenable ne nous approchait, si l’on excepte les visites d’Edgar Linton à Miss Cathy. À quinze ans, elle était la reine de la contrée ; elle n’avait pas sa pareille ; et elle devenait hautaine et volontaire ! J’avoue que je ne