Page:Brontë - Un amant.djvu/119

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— Oui, de temps à autre, répondis-je.

— Et à moi aussi. J’ai rêvé dans ma vie des rêves qui depuis ne m’ont jamais quittée et ont changé mes idées ; ils se sont infiltrés en moi partout, comme le vin dans l’eau, et ils ont altéré la couleur de mon esprit. En voici un, je vais vous le dire ; mais prenez bien soin de ne sourire d’aucune de ses parties.

— Oh, ne me le dites pas, miss Cathy ! criai-je. Notre vie est déjà assez lugubre sans qu’il y ait encore besoin d’appeler des fantômes et des visions pour nous tourmenter. Allons, allons, soyez gaie et pareille à vous-même. Regardez le petit Hareton ! Il ne rêve de rien de terrible. Comme il sourit doucement dans son sommeil !

— Oui, et comme son père jure doucement dans sa solitude ! Vous vous le rappelez, n’est-ce pas, quand il était juste semblable à cette petite chose joufflue, à peu près aussi jeune et aussi innocent. Et pourtant Nelly, je veux vous obliger à m’écouter ; mon histoire n’est pas longue, et je ne me sens pas la force d’être gaie cette nuit.

— Je ne veux pas l’entendre, je ne veux pas l’entendre, répétai-je vivement.

J’étais alors superstitieuse au sujet des rêves, et je le suis encore, et puis Catherine avait dans son aspect quelque chose de sombre et d’anormal qui me fit craindre un récit où je verrais une prophétie, ou la prédiction d’une terrible catastrophe. Elle fut vexée, mais ne continua pas. Il me sembla qu’elle choisissait un autre sujet, et je l’entendis reprendre, quelques minutes après :

— Si j’étais au ciel, Nelly, je serais extrêmement misérable.

— Parce que vous n’êtes pas digne d’y aller, répondis-je ; tous les pécheurs seraient misérables dans le ciel.

— Mais ce n’est pas du tout pour cela. J’ai une fois rêvé que j’y étais.