Page:Brontë - Un amant.djvu/95

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bonnes choses ; mais il était malade et ne pouvait guère manger, et mes efforts pour le faire manger furent inutiles. Il appuya ses deux coudes sur ses genoux, son menton dans ses mains, et resta plongé dans une méditation muette. Quand je lui demandai le sujet de ses pensées, il me répondit gravement :

— Je suis en train d’essayer de déterminer comment je pourrai repayer Hindley. Peu m’importe le temps qu’il faudra attendre, pourvu que j’y arrive à la fin. J’espère qu’il ne mourra pas avant que j’y arrive.

— Vous n’avez pas honte, Heathcliff ! dis-je. C’est à Dieu de punir les méchants ; nous, nous devons apprendre à pardonner.

— Non, Dieu n’aurait pas la satisfaction que j’aurai, répondit-il. Je voudrais seulement connaître le meilleur moyen. Laissez-moi seul, et je vais le combiner : quand je pense à cela, je ne sens pas ma peine.

— « Mais, monsieur Lockwood, j’oublie que ces contes ne peuvent guère vous divertir. Je suis désolée de songer comment j’ai pu avoir l’idée de bavarder de cette façon ; et votre tisane est froide, et vous penchez la tête pour aller vous coucher. J’aurais pu vous dire l’histoire de Heathcliff, ou du moins tout ce que vous avez besoin d’en savoir, en une demi-douzaine de mots. » S’interrompant ainsi, ma ménagère se leva, et fit mine de mettre son ouvrage de côté, mais je me sentais incapable de bouger du foyer, et j’étais bien loin d’avoir sommeil : — Restez assise, Madame Dean, lui criai-je, restez assise encore une demi-heure. Vous avez très bien fait de me raconter cette histoire à loisir ; c’est la méthode que j’aime, et il faudra que vous la finissiez dans le même style. Il n’y a pas un des caractères que vous avez mentionnés qui ne m’intéresse plus ou moins.

— Mais l’horloge va sonner onze heures, monsieur.

— N’importe, je n’ai pas l’habitude de me coucher de