Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouvait ni dur ni injuste d’être obligé de gagner sa vie par son labeur, et ne demandait que du travail, Moore eût pu se faire un ami. Il semble étrange qu’il ait pu tourner le dos à un tel homme sans une parole conciliante ou sympathique. Le visage de ce pauvre homme était hagard de besoin. Il avait l’aspect d’un homme qui n’avait pas connu le bien-être et l’abondance depuis des semaines, depuis des mois peut-être ; et cependant, il n’y avait aucune férocité, aucune méchanceté dans l’expression de ses traits : il était usé, abattu, triste, mais patient. Comment Moore avait-il pu le quitter avec ces mots : « Je ne céderai jamais ! » sans une parole de bienveillance, d’espoir ou d’encouragement ?

C’est ce que se demandait Farren, en s’en retournant vers sa chaumière, autrefois, dans des temps meilleurs, une décente, propre et agréable habitation, maintenant si triste et si pauvre, quoique toujours propre. Il conclut à l’égoïsme, à l’insensibilité, à la folie du fabricant étranger. Il lui sembla que l’émigration, s’il avait seulement les moyens d’émigrer, serait préférable au service sous un tel maître. Il avait l’air abattu, presque désespéré.

Lorsqu’il fut entré, sa femme servit avec ordre le dîner qu’elle avait préparé pour lui et les enfants : il se composait de poireaux seulement, et en trop petite quantité. Quelques-uns des plus jeunes enfants en redemandèrent lorsqu’ils eurent mangé leur portion, ce qui troubla violemment William ; pendant que sa femme les apaisait de son mieux, il se leva de sa chaise, se dirigea vers la porte en sifflant un air joyeux, ce qui n’empêcha pas une ou deux larges gouttes (plus semblables aux premières gouttes d’une pluie d’orage qu’à celles qui coulent de la blessure du gladiateur) de se former sur ses paupières, d’où elles tombèrent sur le seuil. Il s’essuya les yeux avec sa manche, et ce mouvement d’attendrissement fit bientôt place à un sentiment plus ferme et plus austère.

Il était encore là debout, méditant en silence, lorsque survint un gentleman vêtu, de noir ; on voyait tout d’abord que c’était un membre du clergé, mais ce n’était ni Helstone, ni Malone, ni Donne, ni Sweeting. Il pouvait avoir quarante ans ; sa physionomie était simple, son teint bronzé, ses cheveux grisonnants. Il se penchait un peu en avant dans la marche. Il avait l’air triste et préoccupé ; mais, en approchant de Farren, il leva les yeux, et une expression de franche cordialité illumina ses traits.