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Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/135

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ses montagnes et de ses plaines ; natures étranges et vigoureuses, au sang chaud et au cerveau puissant, turbulentes parfois dans l’orgueil de leur force, et intraitables dans leur énergie native, manquant d’élégance, de politesse, de docilité, mais saines, ardentes, de pure race, comme l’aigle des rochers et le cheval des steppes.

Un léger coup est frappé à la porte du parloir ; les jeunes garçons ont fait tant de bruit dans leur jeu, et la petite Jessy a chanté une si suave chanson écossaise à son père, qui raffole des chansons écossaises et italiennes et en a appris quelques-unes des meilleures à sa petite musicienne, que la sonnette de la porte extérieure n’a pas été entendue.

« Entrez ! dit M. Yorke, de cette voix solennelle qu’il prenait en toute occasion, même pour donner l’ordre à la cuisinière de confectionner un pouding, ou pour dire aux jeunes garçons de suspendre leurs chapeaux dans le vestibule, et aux jeunes filles de reprendre leur travail d’aiguille.

Robert Moore entra.

La gravité habituelle de Moore, sa sobriété, l’avaient si fort recommandé à mistress Yorke, qu’elle n’avait point encore cherché à le brouiller avec son mari. Elle ne lui avait découvert aucune intrigue qui l’empêchât de se marier ; elle ne s’était point aperçue qu’il fût un loup caché sous la peau d’une brebis, ce qui lui était plus d’une fois arrivé après le mariage de quelques amis de son mari, auxquels elle s’était empressée de fermer sa porte ; conduite qui peut avoir son côté juste et prudent aussi bien que son côté rigoureux et dur.

« Tiens, c’est vous ? dit-elle à M. Moore, lorsque celui-ci s’avança en lui présentant la main. Que faites-vous donc ici à cette heure de la nuit ? Vous devriez être chez vous.

— Est-ce qu’un célibataire peut dire qu’il a un chez soi, madame ? répondit-il.

— Peuh ! dit mistress Yorke, qui avait pour ce jargon de convention autant de mépris que son mari, et s’en servait aussi peu, vous n’avez pas besoin, avec moi, de débiter de semblables sornettes ; un célibataire, peut avoir un chez soi s’il le veut. Est-ce que votre sœur ne tient pas votre maison aussi bien qu’une épouse pourrait le faire ?

— Ce n’est pas la même chose, dit M. Yorke, prenant part à la conversation. Hortense est une honnête fille ; mais, quand j’avais l’âge de Robert, j’avais cinq ou six sœurs, toutes aussi