Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/148

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— D’ailleurs, je suis désintéressé dans la question, Robert Moore ; vous n’êtes ni mon parent ni celui des miens, et que vous trouviez ou que vous perdiez une fortune, cela m’est parfaitement égal. Retournez chez vous, maintenant. Il est dix heures sonnées. Mlle Hortense pourrait s’alarmer de votre absence. »



CHAPITRE IX.

Les vieilles filles.


Le temps marchait, le printemps se développait. À la surface, l’Angleterre commençait à prendre un aspect agréable. Ses champs et ses montagnes se couvraient de verdure, ses jardins fleurissaient ; mais au cœur elle n’allait pas mieux : ses pauvres étaient toujours malheureux, ses serviteurs harassés ; son commerce, en quelques-unes de ses branches, semblait paralysé, car la guerre continuait. Le sang de l’Angleterre était répandu, ses richesses dépensées, le tout pour atteindre un résultat fort douteux. On apprenait de loin en loin la nouvelle de succès obtenus dans la Péninsule ; mais ces nouvelles arrivaient lentement : elles étaient séparées par de longs intervalles remplis du bruit des félicitations que s’adressait à lui-même Bonaparte sur ses triomphes continuels. Ceux qui souffraient des résultats de la guerre trouvaient tout à fait insupportable cette lutte longue et, comme ils le croyaient, désespérée, contre un invincible pouvoir. Ils demandaient la paix à quelque prix que ce fût. Des hommes tels que Yorke et Moore, et il y en avait des milliers que la guerre avait placés comme eux sur le seuil de la banqueroute, demandaient la paix avec l’énergie du désespoir.

Ils tenaient des meetings, ils faisaient des discours, ils adressaient des pétitions pour arracher ce bienfait ; à quels termes il pouvait s’obtenir, ils ne s’en inquiétaient pas.

Tous les hommes, pris en détail, sont plus ou moins égoïstes ; pris en masse, ils le sont bien davantage. Le marchand anglais ne fait pas exception à cette règle : il la confirme d’une manière frappante. Assurément les classes mercantiles pensent