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Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/151

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line devait l’abandonner, et renoncer à voir son cousin et sa cousine : c’étaient, selon lui, des gens dangereux.

M. Helstone s’attendait bien à rencontrer de l’opposition à cet ordre ; il comptait sur des pleurs. Rarement il se préoccupait des faits et gestes de sa nièce ; mais il avait une vague idée que Caroline trouvait du plaisir à se rendre au cottage de Hollow ; il soupçonnait aussi que la présence accidentelle de Moore au presbytère ne lui déplaisait pas. Le vieux Cosaque avait remarqué que, toutes les fois que Malone voulait se montrer aimable et charmant, soit en pinçant les oreilles d’un vieux chat noir qui avait l’habitude de partager le tabouret sur lequel miss Helstone reposait ses pieds, soit en empruntant un fusil de chasse et en s’exerçant à tirer à la cible contre un but placé dans le jardin, laissant les portes ouvertes afin de pouvoir sortir et rentrer pour annoncer bruyamment ses succès et ses échecs ; il avait remarqué, disons-nous, que, pendant ces aimables exercices, Caroline s’empressait de disparaître et de se glisser sans bruit à l’étage supérieur, où elle demeurait invisible jusqu’au moment où on l’appelait pour le souper. Au contraire, lorsque Moore était présent, quoiqu’il n’exerçât jamais la patience du chat et se bornât à le prendre sur le tabouret et à le mettre sur ses genoux, où le caressant animal pouvait tout à son aise faire la roue, grimper sur son épaule et se frotter contre sa joue ; quoiqu’il n’y eût pendant qu’il demeurait là ni bruit, ni explosion d’armes à feu, ni diffusion de l’odeur sulfureuse de la poudre, Caroline restait là assise, et semblait prendre un plaisir tout particulier à confectionner des pelotes à épingles pour la corbeille des Juifs ou des chaussons pour celle des missionnaires.

Elle était très-tranquille, et Robert ne faisait pas grande attention à elle, et lui adressait rarement la parole ; mais M. Helstone, n’étant pas de ces vieillards auxquels on ferme aisément les yeux, qu’il avait au contraire, en toute circonstance, toujours grands ouverts, les avait observés lorsqu’ils se souhaitaient mutuellement le bonsoir ; il avait tout récemment vu leurs yeux se rencontrer une fois, une seule fois. Certaines natures se fussent réjouies de ce coup d’œil ainsi surpris, parce qu’il n’avait rien de coupable. Ce n’était nullement un coup d’œil de mutuelle intelligence, car aucun secret d’amour n’existait entre eux. Seulement les yeux de M. Moore, en rencontrant ceux de Caroline, les avaient trouvés limpides et doux, et ceux de Caroline, en rencontrant ceux de Moore, s’étaient