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Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/157

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En ce moment le feu jeta ses dernières lueurs ; Malone était parti, et la sonnette du cabinet sonna les prières du soir.

Le lendemain, Caroline demeura seule, son oncle étant allé dîner avec M. Boultby, vicaire de Whinbury. Elle passa toute la journée dans les mêmes pensées, portant ses regards vers l’avenir, se demandant ce qu’elle allait faire de la vie. Fanny, en allant et venant pour vaquer aux soins du ménage, s’aperçut que sa jeune maîtresse était fort tranquille. Elle demeurait constamment assise à la même place, penchée sur son travail ; elle ne leva pas une seule fois la tête pour adresser la parole à Fanny, comme c’était son habitude, et, lorsque cette dernière lui fit remarquer que le temps était beau et qu’elle devrait faire une petite promenade, elle se borna à répondre :

« Il fait froid.

— Vous êtes très-appliquée à ce travail de couture ; miss Caroline, continua Fanny en s’approchant de la petite table.

— J’en suis fatiguée, Fanny.

— Alors, pourquoi ne l’abandonnez-vous pas ? Jetez cela de côté ; lisez, ou faites quelque autre chose pour vous distraire.

— Cette maison est bien solitaire, Fanny ; ne le pensez-vous pas ?

— Je ne trouve pas, miss. Élisa et moi, nous nous tenons réciproquement compagnie ; mais vous êtes trop sédentaire, vous devriez faire plus souvent des visites. Voyons, laissez-vous persuader ; montez à votre chambre, faites-vous belle, et allez prendre sans façon le thé avec miss Mann ou miss Ainley. Je suis sûre que l’une ou l’autre de ces dames sera enchantée de vous voir.

— Mais leurs maisons sont tristes. Ce sont toutes deux de vieilles filles. Je suis sûre que toutes les vieilles filles sont malheureuses.

— Non pas celles-là, miss. Elles ne peuvent être malheureuses ; elles prennent tant de soin d’elles-mêmes ! Elles sont uniquement égoïstes.

— Miss Ainley n’est point égoïste, Fanny ; elle fait constamment le bien. Combien elle fut bonne et dévouée pour sa belle-mère, pendant tout le temps que la dame vécut ! et maintenant qu’elle est seule au monde, sans frère ni sœur, ni personne qui s’intéresse à elle, combien elle est charitable pour les pauvres ! Eh bien ! personne ne songe à elle ou ne prend plaisir à aller la voir ; et comme les hommes la tournent en ridicule !