Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/159

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jeune fille et la vieille ridée, livide et repoussante. Une fois, en semblable occasion, Caroline, détournant les yeux de la plante grimpante qu’elle attachait à une tige, lui avait dit :

« Ah ! Robert, vous n’aimez pas les vieilles filles. Moi aussi je tomberais sous le fouet de vos sarcasmes, si jamais je restais vieille fille.

— Vous, vieille fille ! s’était-il écrié. Piquante idée, exprimée par des lèvres de cette couleur et de cette forme. Il me semble vous voir à quarante ans, simplement vêtue, pâle et fatiguée, mais conservant toujours ce nez droit, ce front blanc, ces doux yeux. Je suppose aussi que vous conserverez votre voix, qui a un autre timbre que le rude et caverneux organe de miss Mann. Ne craignez rien ; même à cinquante ans vous ne seriez point repoussante.

— Miss Mann ne s’est point faite elle-même ; ce n’est point elle qui a accordé le timbre de sa voix, Robert.

— La nature l’a formée dans le moment où elle créait ses bruyères et ses épines ; tandis que, pour la création de certaines femmes, elle a réservé les heures matinales de mai, lorsque, sous la rosée et les premiers rayons du jour, elle féconde les marguerites dans le gazon et les lis sous la mousse des bois. »

―――

Introduite dans le petit parloir de miss Mann, Caroline la trouva, comme toujours, environnée d’une élégance, d’une propreté, d’un confort parfait (après tout, n’est-ce pas une vertu chez les vieilles filles, que la solitude leur donne rarement des habitudes de négligence ou de désordre ?) ; aucune poussière sur son luisant ameublement, aucune sur les tapis ; des fleurs fraîches dans un vase sur la table, un feu brillant dans la grille du foyer. Elle était assise dans une chaise à coussins, et avait les mains occupées à un ouvrage de tricot ; c’était son travail favori, parce qu’il ne demandait que peu de mouvement. Elle se souleva à peine à l’arrivée de Caroline. Éviter le mouvement était un des buts de la vie de miss Mann. Depuis qu’elle était descendue le matin, elle s’efforçait d’arriver aux douceurs du far-niente, et elle venait d’atteindre un certain état de calme léthargique lorsque la visiteuse frappa à la porte, la fit tressaillir, et défit ainsi le travail de la journée. Elle