Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/192

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— Je le suppose aussi ; et nous croyons cette exception parfaitement fondée. Nous le rêvons semblable à nous ; nous croyons nos deux êtres en parfaite harmonie ; sa voix semble nous donner la plus douce et la plus sûre promesse que son cœur ne s’endurcira jamais contre nous ; nous lisons dans ses yeux ce fidèle sentiment : l’affection. Je ne pense pas que nous devions nous fier nullement à ce qu’ils nomment la passion, Caroline. Je crois que ce n’est qu’un feu de paille, jetant un peu de flamme et s’évanouissant aussitôt… Nous le voyons bienveillant envers les animaux, les petits enfants, les pauvres gens. Avec nous il est affable, bon, discret. Il ne flatte pas les femmes, mais il est patient avec elles ; il n’est point gêné en leur présence et trouve du plaisir à leur société. Il les aime non pour de vaines et égoïstes raisons, mais comme nous l’aimons lui-même, parce que nous l’aimons. Nous remarquons qu’il est juste, qu’il dit toujours la vérité, qu’il est consciencieux. Nous éprouvons la joie et le calme lorsqu’il entre où nous sommes, la tristesse et le trouble lorsqu’il s’en va. Nous savons que cet homme a été un bon fils, qu’il est un frère dévoué : qui osera me dire que cet homme ne sera pas un bon époux ?

— Mon oncle, qui l’affirmerait sans hésiter. Il sera las de vous au bout d’un mois, dirait-il.

— Mistress Pryor affirmerait sérieusement la même chose.

— Mistress Yorke et miss Mann en diraient autant.

— Si ce sont de vrais oracles, il est bon de ne jamais aimer.

— Très-bon, si on peut l’éviter.

— Mais j’aime à douter de leur véracité.

— Je crains bien que ce ne soit là une preuve que votre cœur est pris.

— Nullement. Mais s’il l’était, savez-vous quels oracles je consulterais ?

— Dites.

— Ni un homme ni une femme, vieux ou jeunes ; mais le petit mendiant irlandais qui vient pieds nus à ma porte ; la souris qui sort de la fente de la boiserie ; l’oiseau qui, par la neige et la gelée, frappe de son bec à ma fenêtre pour avoir quelques miettes de pain ; le chien qui lèche ma main et s’assied à côté de mon genou.

— Avez-vous jamais vu quelqu’un qui fût bienfaisant envers des êtres semblables ?