Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/194

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droite ? Est-ce que mes veines sont jalouses du sang qui les remplit ?

— Hommes et femmes, époux et épouses, se querellent horriblement, Shirley.

— Pauvres créatures ! êtres tombés, déchus et dégénérés ! Dieu les fit pour une autre destinée, pour d’autres sentiments !

— Mais enfin, sommes-nous ou non les égales des hommes ?

— Rien ne me charme plus que de rencontrer mon supérieur, quelqu’un qui me fasse sincèrement sentir qu’il est mon supérieur.

— L’avez-vous jamais rencontré ?

— Je le voudrais rencontrer tous les jours. Plus il serait au-dessus de moi, plus je serais heureuse ; il est dégradant de s’incliner ; il est glorieux de regarder en haut. Ce qui me chagrine, c’est d’être trompée lorsque j’essaye d’accorder mon estime, et, si je me prosterne religieusement, de ne trouver que de faux dieux à adorer. Je dédaigne de me faire païenne.

— Miss Keeldar, voulez-vous entrer ? nous voici à la porte de la rectorerie.

— Non, pas aujourd’hui ; mais demain j’irai vous chercher pour passer la soirée avec moi. Caroline Helstone, si vous êtes ce que maintenant vous paraissez être, nous nous conviendrons. Je n’ai jamais pu parler à une jeune lady comme je vous ai parlé aujourd’hui. Embrassez-moi, et au revoir. »


―――


Mistress Pryor semblait aussi disposée que Shirley à cultiver la connaissance de Caroline. Elle, qui n’allait nulle part, se rendit quelques jours après à la rectorerie. Elle choisit l’après-midi, moment où le recteur était sorti. Il faisait très-chaud ; cette circonstance, jointe à l’embarras qu’elle éprouvait en entrant dans une maison étrangère, car elle avait l’habitude de vivre fort retirée, avait coloré son visage, et elle semblait fortement agitée. Lorsque Caroline alla à elle dans la salle à manger, elle la trouva assise sur le sofa, tremblante, se donnant de l’air en agitant son mouchoir, et paraissant lutter contre une agitation nerveuse qui menaçait de se changer en accès hystérique.

Caroline s’étonnait de voir une personne de cet âge si peu maîtresse d’elle-même ; elle ne pouvait comprendre un tel