Aller au contenu

Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

facultés observatrices. Mistress Pryor, assise sur le second plan, ne se trouvait pas dans le rayon de son regard ; mais les deux jeunes filles en avaient le complet bénéfice.

Miss Keeldar, placée directement en face de lui, était vue sans effort ; et, comme ce qui restait encore de jour, reflet doré du couchant, tombait sur elle, sa forme se détachait en relief de la sombre boiserie de la salle. Les joues fraîches de Shirley gardaient encore l’empreinte de la rougeur qui les avait couvertes quelques minutes auparavant. Les cils noirs de ses yeux baissés pendant qu’elle lisait, la sombre mais délicate ligne de ses sourcils, le lustre presque noir de ses cheveux bouclés, faisaient ressembler, par le contraste, son teint animé à une belle rose sauvage. Il y avait une grâce naturelle dans son attitude, et un effet artistique dans les plis amples et brillants de sa robe de soie, d’une mode simple, mais presque splendide par l’éclat changeant de ses nuances, la chaîne et la trame étant de teintes foncées et changeant comme le col d’un faisan. Un bracelet étincelait sur son bras et produisait le contraste de l’or et de l’ivoire : il y avait quelque chose de brillant dans l’ensemble de ce tableau. Il est à supposer que Moore pensait ainsi, car son œil s’y arrêta longtemps ; mais il permettait rarement à ses sentiments ou à ses opinions de se révéler sur, son visage : son tempérament comportait une certaine dose de flegme, et il préférait un air peu démonstratif, non dur mais sérieux, à tout autre.

Caroline étant placée à son côté, il ne pouvait la voir en regardant droit devant lui : il fut donc obligé de manœuvrer un peu pour la faire tomber dans le rayon de son observation : il s’appuya en arrière sur sa chaise, et la regarda. Ni lui ni personne n’eût pu découvrir rien de brillant dans miss Helstone. Assise dans l’ombre, sans fleurs ni ornements, vêtue de mousseline sans aucune autre couleur que d’étroites raies de pâle azur, son teint sans rougeur et sans animation, la couleur brune de ses cheveux et de ses yeux invisible par cette faible lumière, elle était, comparée à l’héritière, comme une gracieuse esquisse à côté d’un tableau aux vives couleurs. Depuis la dernière fois que Robert l’avait vue, un grand changement s’était opéré en elle. S’aperçut-il de ce changement, c’est ce qu’il est impossible de savoir, car il n’en dit rien.

« Comment va Hortense ? demanda doucement Caroline.