mener une abondance de vie là où la vie allait défaillir ; mais le généreux repas lui avait été arraché, placé devant une autre, et elle restait la spectatrice du banquet.
L’horloge sonna huit heures : c’était l’heure pour Caroline de rentrer à la maison. Elle plia son ouvrage, plaça la broderie, les ciseaux, l’étui dans son sac ; elle dit à mistress Pryor un tranquille bonsoir, recevant en retour une pression de main plus chaleureuse que d’habitude ; elle s’avança vers miss Keeldar.
« Bonsoir, Shirley. »
Shirley tressaillit.
« Quoi ! si tôt ? Est-ce que vous partez déjà ?
— Il est neuf heures passées.
— Je n’entends jamais l’horloge. Vous viendrez encore demain ; et vous serez heureuse cette nuit, n’est-ce pas ? Souvenez-vous de nos plans.
— Oui, dit Caroline, je ne les ai pas oubliés. »
Son esprit lui faisait craindre que ni ces plans ni aucun autre ne pussent lui rendre d’une manière permanente sa tranquillité mentale. Elle se tourna vers Robert, qui se tenait tout près derrière elle ; au moment où elle levait les yeux, la lumière des bougies qui étaient sur la cheminée tomba en plein sur son visage : la pâleur, le changement de ce visage, apparurent alors avec toute leur triste signification. Robert avait de bons yeux, et eût pu voir ce changement ; rien cependant n’indiqua qu’il le vît.
« Bonsoir ! dit-elle tremblante comme une feuille, en lui offrant avec hâte sa main amaigrie, et paraissant empressée de se séparer de lui.
— Vous retournez à la maison ? demanda-t-il sans toucher sa main.
— Oui.
— Fanny est-elle venue vous chercher ?
— Oui.
— Je puis vous accompagner une partie du chemin ; non jusqu’au presbytère, cependant, de peur que mon vieil ami Helstone ne me tire un coup de fusil de sa fenêtre. »
Il prit son chapeau en riant.
Caroline parla de dérangement inutile : il lui dit de mettre son chapeau et son châle. Elle se trouva prête à l’instant, et ils furent bientôt tous deux en plein air. Moore prit sa main sous