Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/284

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« Montons en haut des champs, lui dit-elle ; je sais que vous n’aimez pas les foules, Caroline.

— Mais ce sera vous priver d’un plaisir, Shirley, que de vous enlever à ce beau monde qui vous courtise si assidûment, et auquel vous pouvez, sans art ni effort, vous rendre si agréable.

— Non pas tout à fait sans efforts ; je suis déjà fatiguée de la tâche ; c’est un insipide et ingrat exercice que de causer et de rire avec ces bonnes gens de Briarfield. Depuis dix minutes je cherche à découvrir votre blanc costume. J’ai plaisir à observer ceux que j’aime au milieu de la foule et à les comparer avec les autres ; je vous ai comparée, vous ne ressemblez à aucune de celles qui sont ici, Lina : il y a ici de plus jolis visages que le vôtre ; vous n’êtes pas, par exemple, une beauté comme Harriet Sykes ; à côté d’elle, votre personne paraît presque insignifiante ; mais vous avez l’air agréable, vous avez l’air réfléchi, ce que j’appelle intéressant.

— Ah ! Shirley ! vous me flattez.

— Je ne m’étonne pas que vos écolières vous aiment.

— Vous plaisantez, Shirley, parlons d’autre chose.

— Nous allons parler de Moore, alors, et nous allons le surveiller ; je le vois en ce moment.

— Où ? »

Et, en faisant cette question, Caroline ne regardait point à travers les champs, mais dans les yeux de miss Keeldar, comme elle avait l’habitude de faire toutes les fois que Shirley mentionnait un objet qu’elle découvrait au loin. Son amie avait meilleure vue qu’elle, et Caroline semblait penser que le secret de la subtilité d’aigle de son regard pouvait se lire dans l’iris gris sombre de son œil ; ou plutôt, peut-être cherchait-elle à se guider par la direction de ces deux vifs et brillants petits globes.

« Voilà Moore, dit Shirley, indiquant un point à travers le vaste champ où un millier d’enfants jouaient, et où un nombre égal de spectateurs adultes se promenaient çà et là. Là-bas, pouvez-vous ne pas distinguer sa haute stature et son port droit ? Il ressemble, au milieu de la foule qui l’environne, à Éliab parmi les plus humbles bergers, à Saül au milieu d’un conseil de guerre ; et c’est bien en effet, si je ne me trompe, un conseil de guerre.

— Et pourquoi cela, Shirley ? demanda Caroline, dont l’œil avait à la fin saisi l’objet cherché. Robert parle en ce moment à