Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/291

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ombragée de roses-arbustes et de grimpantes capucines, préparant une collation froide pour les recteurs, des conserves et de douces crèmes, embarrassée de choisir ce qui convenait le mieux à leurs palais délicats ; ne sachant quel ordre imaginer pour ne pas confondre les goûts, et pour apporter dans les diverses parties du service une bienfaisante et apéritive gradation.

— Voilà qui est très-bien aussi, Shirley.

— Je demanderais la permission de lui rappeler que les premiers hommes de la terre furent les Titans et qu’Ève était leur mère ; d’elle naquirent Saturne, Hypérion, Océanus ; elle enfanta Prométhée.

— Païenne que vous êtes ! que signifie tout cela ?

— Je dis qu’il y avait en ce temps-là des géants sur la terre : des géants qui tentèrent d’escalader le ciel. La première poitrine de femme qui a respiré sur cette terre a enfanté l’audace qui a pu lutter contre l’Omnipotence, la force qui a pu supporter dix siècles de servage, la vitalité qui a pu nourrir ce vautour de la mort pendant des âges innombrables, la vie inépuisable et l’excellence incorruptible qui, après des milléniums de crimes, de luttes, de misères, ont pu concevoir et enfanter un Messie. La première femme était fille du ciel : vaste était le cœur d’où s’est échappée la source du sang humain, et grande la tête sur laquelle a reposé la moitié de la couronne de la création.

— Elle convoita une pomme et fut jouée par un serpent : mais vous avez un tel gâchis d’Écritures et de mythologie dans la tête, qu’il n’y a rien de raisonnable à tirer de vous. Vous ne m’avez pas encore dit qui vous voyiez agenouillé sur ces montagnes.

— J’ai vu, je vois une femme titanique : sa robe bleu d’azur s’étend jusqu’aux confins de la bruyère, là où paît un troupeau ; un voile blanc comme une avalanche, et dont les bords sont des arabesques d’éclairs, l’enveloppe de la tête aux pieds. Sous son sein j’aperçois sa ceinture, pourpre comme cet horizon ; à travers sa rougeur brille l’étoile du soir. Je ne puis peindre ses yeux fixes : ils sont clairs, ils sont profonds comme des lacs, ils sont levés et pleins de vénération, ils tremblent avec la douceur de l’amour et le rayonnement de la prière. Son front a l’expansion d’un nuage, et est plus pâle que la nouvelle lune qui se montre avant la venue des ténèbres ; elle repose son sein,