Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/314

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probable. Le moulin, qui était tout à l’heure inerte et passif, s’éveilla, le feu brilla à travers les baies ouvertes de ses fenêtres ; une décharge de mousqueterie fit retentir la vallée de Hollow.

« Moore parle enfin, dit Shirley, et il semble posséder le don des langues ; ce n’est pas là une seule voix.

— Il a été endurant ; nul ne peut l’accuser de précipitation, dit Caroline ; leur décharge a précédé la sienne ; ils ont brisé ses portes et ses fenêtres ; ils ont fait feu sur sa garnison avant qu’il les repoussât. »

Que se passa-t-il alors ? Il semblait difficile, dans les ténèbres, de le distinguer ; mais quelque chose de terrible, un tumulte incessant, avait lieu évidemment : de furieuses attaques, des résistances désespérées ; dans la cour de la fabrique, dans la fabrique elle-même, le combat faisait rage. Les coups de feu se succédaient sans interruption, entremêlés de courses, de luttes et de cris. Le but des assaillants semblait être de pénétrer dans la fabrique ; celui des défenseurs de les en empêcher. Elles entendirent le chef des rebelles crier : « Par derrière, camarades ! » Elles entendirent une voix riposter : « Allez, vous nous trouverez là. »

« Au comptoir ! cria ensuite le chef.

— Vous serez les bienvenus ! Vous nous trouverez là ! » lui fut-il répondu. Et bientôt la plus vive lumière qui eût encore brillé, le plus grand bruit qui se fût fait entendre, éclatèrent dans le magasin, où la masse des émeutiers se précipita.

La voix qui s’était fait entendre était celle de Moore. Par le ton de cette voix, elles purent juger de l’excitation à laquelle il était arrivé ; elles purent se convaincre que l’instinct brutal de la lutte dominait chacun de ces hommes combattant les uns contre les autres, et l’emportait en ce moment sur les sentiments humains et raisonnables. Toutes deux sentirent leur visage s’échauffer et leur pouls s’accélérer. Toutes deux savaient qu’elles ne produiraient aucun bien en se jetant dans la mêlée : elles ne désiraient ni porter ni recevoir des coups ; mais pour rien au monde elles n’eussent voulu fuir ; pour rien au monde elles n’eussent détourné leurs yeux de cette sombre et terrible scène, de cette masse de nuages, de fumée de détonations pareilles à la foudre.

« Comment et quand cela finira-t-il ? » Telle était la demande que s’adressait leur esprit agité. Arriverait-il un mo-