Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

concerne les femmes : ils ne les comprennent ni sous le rapport du bien ni sous celui du mal. Leur bonne femme est un être fantastique, moitié poupée, moitié ange ; leur méchante femme est presque toujours un démon. Il faut les entendre s’extasier sur les créations imaginaires, adorant l’héroïne de tel poème, de tel roman, de tel drame, qu’ils trouvent ravissante, divine ! Ravissante et divine peut-être, mais souvent aussi artificielle, aussi fausse que la rose de mon chapeau. Mais si j’exprimais toute ma pensée sur ce point, si je donnais mon opinion sur les principaux caractères féminins de certains ouvrages de premier ordre, qu’adviendrait-il de moi ? Je serais ensevelie sous une avalanche de pierres vengeresses avant une demi-heure.

— Shirley, vous babillez tellement que je ne puis finir de vous lacer : restez donc tranquille. Et, après tout, les héroïnes de nos auteurs valent bien les héros de nos bas-bleus.

— Vous vous trompez : les femmes tracent le caractère des hommes avec plus de vérité que les hommes celui des femmes. C’est ce que je prouverai dans quelque Magazine, un jour où j’aurai le temps ; seulement, mon travail ne sera jamais inséré ; il sera refusé avec des compliments et tenu à ma disposition dans les bureaux.

— Assurément ; vous ne pourriez écrire assez bien ; vous ne savez pas assez ; vous manquez d’érudition, Shirley.

— Dieu sait que je ne vous contredirai pas, Cary. Je suis ignorante comme une borne. Une chose me console cependant, c’est que vous n’êtes guère plus instruite que moi. »

Elles descendirent pour le déjeuner.

« Je voudrais bien savoir comment mistress Pryor et Hortense Moore ont passé la nuit, dit Caroline en faisant le café. Égoïste que je suis ! Je n’ai pas songé à elles jusqu’à ce moment. Elles auront entendu tout le tumulte ; Fieldhead et le cottage sont si proches ; et Hortense est très-peureuse pour ces sortes de choses. Il en est sans doute ainsi de mistress Pryor.

— Vous pouvez m’en croire, Lina, Moore a eu soin d’éloigner sa sœur ; elle s’en retourna hier avec miss Mann ; il l’a bien certainement fait rester là pour la nuit. Quant à mistress Pryor, j’avoue que j’ai quelque inquiétude de ce côté ; mais avant une demi-heure nous serons auprès d’elle. »