Aller au contenu

Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/323

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Robert ne sera point cruel ; nous avons pu le voir la nuit dernière.

— Mais il sera sévère, répondit Shirley, et il en sera de même de votre oncle. »

Comme elles se dirigeaient rapidement par la pelouse et le sentier de la plantation vers Fieldhead, elles aperçurent la route au loin déjà couverte de cavaliers et de piétons se dirigeant vers Hollow. En arrivant au manoir, elles trouvèrent les portes de la cour de derrière ouvertes, et la cour et la cuisine semblaient remplies d’hommes, de femmes et d’enfants qui venaient chercher le lait, et auxquels mistress Grill, la femme de charge, cherchait en vain à persuader de prendre leur seau de lait et de partir. (Il est, ou il était d’usage dans le nord de l’Angleterre que les paysans qui habitaient des cottages sur le domaine d’un squire de campagne reçussent leur provision de lait et de beurre du manoir, sur les pâturages duquel un troupeau de vaches à lait était ordinairement nourri pour l’alimentation du voisinage. Miss Keeldar possédait un semblable troupeau, entièrement composé de ces belles vaches au fanon pendant, élevées au milieu des tendres herbages et des eaux limpides de la jolie Airedale ; et elle était fière de leur bonne apparence et de leur parfaite condition). Voyant l’état des choses et la nécessité de débarrasser la place, Shirley s’avança au milieu des groupes dont la conversation était des plus animées. Elle leur dit bonjour avec l’aisance franche et calme qui lui était naturelle lorsqu’elle parlait aux masses, surtout lorsque ces masses appartenaient à la classe ouvrière : elle était plus froide avec ses égaux, et même fière avec ceux qui étaient au-dessus d’elle. Elle leur demanda alors si leur lait était mesuré, et, sur leur réponse affirmative, elle voulut savoir ce qu’ils attendaient.

« Nous causions un peu de la bataille qui vient d’avoir lieu à votre moulin, maîtresse, répondit un homme.

— Vous causiez un peu ! dit Shirley. C’est une chose étrange que le monde soit si porté à causer sur les événements : vous causez si quelqu’un meurt subitement ; vous causez si un incendie éclate ; vous causez si un fabricant fait banqueroute ; vous causez s’il est assassiné. Quel bien peuvent faire vos causeries ? »

Il n’y a rien qui plaise tant aux classes inférieures que d’être traitées un peu librement et sans façon. Ils méprisent la flatte-