Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/337

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vous serez forcé de les abandonner. Vous blâmez violemment Moore d’avoir défendu sa fabrique ; si vous aviez été à sa place, votre honneur et votre bon sens ne vous eussent point permis d’agir autrement que lui. Vous vilipendez M. Helstone pour tout ce qu’il fait : M. Helstone a ses défauts ; quelquefois il fait mal, mais le plus souvent il agit bien. Si l’on vous ordonnait curé de Briarfield, vous verriez si ce serait tâche facile de mettre à exécution tout ce que votre prédécesseur a imaginé et accompli pour le bien de la paroisse. Je m’étonne que l’on ne puisse rendre plus loyalement justice aux autres et à soi-même. Lorsque j’entends MM. Malone et Donne bavarder sur l’autorité de l’Église, sur la dignité et les droits de la prêtrise, sur la déférence qui leur est due comme membres du clergé ; quand j’entends l’explosion de leur petit dépit contre les dissidents ; quand je suis témoin de leurs étroites jalousies et de leurs présomptions ; quand ils me rebattent les oreilles de leurs conversations sur les formalités, les traditions, les superstitions ; quand je vois leur insolence envers les pauvres, leur basse servilité envers les riches, il me semble, en vérité, que l’établissement est dans une pauvre voie, et qu’il a, ainsi que ses enfants, le plus grand besoin d’une réforme. Détournant mes regards désespérés de la tour de la cathédrale et de l’humble clocher du village, oui, aussi désespérée que le sacristain qui sent le besoin de faire blanchir l’église et n’a pas de quoi acheter de la chaux, je me souviens de vos sarcasmes insensés sur les gras évêques, les curés bien nourris, la vieille mère Église, etc. Je me souviens des traits que vous décochez à tous ceux qui ne pensent pas comme vous, de l’impitoyable condamnation à laquelle vous soumettez les classes et les individus, sans avoir le moindre égard aux circonstances et aux tentations : et alors monsieur Yorke, le doute étreint mon âme, et je me demande s’il existe des hommes assez cléments, assez raisonnables, assez justes, pour entreprendre la tâche d’une réforme. Je ne crois pas que vous soyez de ce nombre.

— Vous avez de moi une mauvaise opinion, miss Shirley. Vous ne m’avez jamais jusqu’ici autant montré vos sentiments.

— Je n’en avais jamais eu l’occasion ; mais je suis restée assise sur le tabouret de Jessy, à côté de votre chaise, dans le parloir de Briarmains, pendant des soirées entières, écoutant avidement votre causerie, tantôt admirant, tantôt m’insurgeant contre vos paroles. Je vous regarde comme un beau vieillard yorkshirien,