Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/344

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nité blessée. Elle me donna à entendre que, si je ne faisais pas un effort pour réprimer mon mécontentement impie et pour cesser de murmurer contre la position que Dieu m’avait faite, mon intelligence se briserait probablement en morceaux sur le roc où nombre de mes sœurs avaient fait naufrage, la morbide estime de soi-même, et que je mourrais dans une maison d’aliénées.

« Je ne répondis rien à mistress Hardman ; c’eût été inutile, mais à sa fille aînée, je laissai tomber un jour quelques observations auxquelles elle répondit ainsi :

« Il y avait des peines, elle en convenait, dans la position d’une gouvernante ; sans doute elle avait ses épreuves ; mais, dit-elle d’une façon qui me fait sourire lorsque j’y pense, mais cela devait être ainsi. Elle n’avait ni le dessein, ni l’espoir, ni le désir de voir apporter un remède à cet état de choses : car, dans la constitution des habitudes anglaises, des sentiments, des préjugés, un remède était impossible. Les gouvernantes, fit-elle observer, doivent être continuellement dans une espèce d’isolement : c’est le seul moyen de maintenir la distance que demandent la réserve des mœurs anglaises, le décorum des familles.

« Je me souviens que je poussai un soupir lorsque miss Hardman quitta mon lit ; elle l’entendit, et se retournant, me dit avec sévérité :

« Je crains, miss Grey, que vous n’ayez hérité dans la plus ample mesure du péché le plus grand de notre nature tombée, le péché de l’orgueil. Vous êtes orgueilleuse, et par conséquent vous êtes ingrate aussi. Maman vous paye un joli salaire, et, si vous aviez le sens commun, vous vous accommoderiez patiemment de ce que votre état a de fatigant et d’ennuyeux, puisque vous en êtes si bien rétribuée. »

« Miss Hardman, ma chérie, était une lady à l’esprit très-fort, et possédait des talents très-distingués : l’aristocratie est décidément une classe fort supérieure, vous le savez, physiquement, moralement et mentalement. En qualité de tory avancée je reconnais cela. Je ne pourrais décrire la dignité de sa voix et de son air pendant qu’elle me parlait ainsi, et cependant je crains qu’elle n’ait été égoïste, ma chère. Je ne voudrais pas mal parler de mes supérieurs en rang, mais je pense qu’elle était un peu égoïste.

« Je me souviens, continua mistress Pryor après une pause,