Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/351

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une certaine crainte qui les faisait vaciller dans leur résolution et reculer devant l’action, la crainte de l’assassinat. C’était cette crainte qui avait enchaîné tout manufacturier et presque tout homme public dans le district ; Helstone seul l’avait toujours repoussée. Le vieux Cosaque savait qu’il pouvait recevoir une balle ; il connaissait le danger : mais une semblable mort ne l’effrayait pas ; c’est celle qu’il eût choisie, s’il avait eu un choix à faire.

Moore aussi connaissait le danger et le méprisait. La pensée qu’il chassait des assassins était l’aiguillon de son ardente nature. Quant à la crainte, c’était un homme trop fier, trop rudement élevé, trop phlegmatique pour craindre. Souvent il lui arrivait de parcourir les marais à cheval, la nuit, au clair de lune, ou sans clair de lune, dans une disposition d’esprit plus vigoureuse, avec des facultés plus fraîches que lorsque la sécurité et le calme l’environnaient dans son comptoir. Les meneurs dont il voulait s’assurer étaient au nombre de quatre : deux dans l’espace de quinze jours furent arrêtés près de Stilbro’ ; pour les deux autres, il fallait les chercher plus loin : leur retraite était supposée dans les environs de Birmingham.

En même temps, le manufacturier ne négligeait pas sa fabrique battue en brèche : les réparations n’étaient pas difficiles ; le charpentier et le vitrier seuls suffisaient. Les émeutiers n’étant pas parvenus à entrer dans la place, ses chères machines n’avaient reçu aucun dommage.

Pendant cette vie occupée, pendant que la sévère justice et les affaires demandaient toute son énergie et harassaient ses pensées, donnait-il un moment, consacrait-il un effort pour tenir allumé un feu plus doux que ceux qui brûlent dans le temple de Némésis ? C’est ce qu’il était difficile de découvrir. Il allait rarement du côté de Fieldhead ; s’il y allait, ses visites étaient brèves ; s’il allait à la rectorerie, c’était seulement pour demeurer en conférence avec le recteur dans son cabinet. Pendant ce temps, l’histoire de l’année continuait à être troublée ; il n’y avait aucun calme dans la tempête de la guerre. Son long ouragan continuait à balayer le continent. Il n’y avait pas le plus léger signe de temps serein, aucune éclaircie à travers les nuages de la poussière et de la fumée des batailles ; aucune rosée bienfaisante ne tombait sur l’olivier ; aucune cessation de la pluie rouge qui nourrissait l’inutile et glorieux laurier. Pendant ce temps, la ruine avait ses sapeurs et ses