Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/386

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ment, repliant leurs ailes débiles ainsi que des oiseaux épuisés sur une côte aride, apercevant le vide et le silence autour d’elle, elle se crut seule. Le délire ne l’avait pas quittée ; peut-être la saine possession d’elle-même et la conscience de ses actions l’avaient-elles abandonnée pour toujours ; peut-être ce monde dans lequel vivent les forts et les heureux avait-il déjà roulé sous ses pieds pour la dernière fois. C’est du moins ce qu’il semblait souvent. En santé, elle n’avait jamais eu l’habitude de penser tout haut ; mais en ce moment les paroles s’échappaient de ses lèvres sans qu’elle y fît attention.

« Oh ! je voudrais le voir une fois encore avant que tout fût fini ! Le ciel devrait m’accorder cette faveur ! s’écriait-elle. Mon Dieu, accordez-moi cette consolation avant de quitter cette vie.

« Mais il ne saura pas que je suis malade avant que je ne sois morte ; et il viendra lorsqu’ils m’auront déposée froide et insensible dans le cercueil.

« Que pourra ressentir alors mon âme ? Peut-elle voir ou savoir ce qui arrive à la chair ? Les esprits ont-ils quelque moyen de communiquer avec les vivants ? Les morts peuvent-ils visiter ceux qu’ils ont laissés ? Peuvent-ils traverser les éléments ? Le vent, l’eau, le feu, me frayeront-ils un passage pour arriver à Moore ?

« Est-ce pour rien que le vent semble quelquefois soupirer des paroles articulées ; qu’il chante la nuit comme je l’ai entendu récemment, ou qu’il traverse les fenêtres en sanglotant, comme s’il annonçait des malheurs à venir ? Est-ce que rien ne l’habite, rien ne l’inspire ?

« Et pourtant, il me fit entendre une nuit certaines paroles ; il me dit un chant que j’aurais pu écrire : seulement j’étais effrayée, et je n’osai pas me lever pour aller chercher des plumes et du papier à la faible lueur de ma lampe de nuit.

« Qu’est-ce donc que cette électricité dont ils parlent, dont les changements nous apportent la santé ou la maladie, dont le manque ou l’excès tue, dont l’équilibre lui-même fait revivre ? Que sont donc ces influences répandues dans l’atmosphère autour de nous, qui jouent sur nos nerfs comme des doigts sur un instrument à cordes, et en tirent tantôt une douce note, tantôt une plainte, tantôt la plus douce mélodie, tantôt la plus triste cadence ?

« Où est l’autre monde ? En quoi l’autre vie consistera-t-elle ?