Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/404

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« N’êtes-vous pas effrayée, ma chère, de converser si librement avec cet homme ? Cela peut le rendre présomptueux et ennuyeusement bavard.

— William présomptueux, maman ? vous ne le connaissez pas. Il n’a jamais de présomption : il est à la fois trop fier et trop sensé pour cela. William a de beaux sentiments. »

Et mistress Pryor sourit d’un air sceptique à la naïve jeune fille qui trouvait que cet homme aux mains calleuses, à la tête rude, aux vêtements rustiques, avait de beaux sentiments.

Farren, de son côté, montrait à mistress Prior un front très-renfrogné. Il savait qu’il était mal jugé, et avait coutume de se montrer peu traitable pour ceux qui ne lui rendaient pas justice.

La soirée restituait entièrement Caroline à sa mère, et mistress Pryor aimait la soirée : car alors, seule avec sa fille, aucune ombre humaine ne venait s’interposer entre elle et l’objet qu’elle chérissait. Pendant le jour, elle pouvait avoir la physionomie empesée et les manières froides qui lui étaient habituelles ; entre elle et M. Helstone, les rapports étaient très-respectueux, mais des plus cérémonieux. Tout ce qui aurait ressemblé à de la familiarité n’eût pas manqué d’engendrer le mépris chez l’un ou l’autre de ces deux personnages ; mais au moyen d’une stricte politesse, et en gardant bien les distances, tout allait fort bien entre eux.

Vis-à-vis des domestiques, la conduite de mistress Pryor n’était pas incivile, mais réservée et glaciale. Peut-être était-ce plutôt la défiance que l’orgueil qui la faisait paraître si hautaine : mais, ainsi qu’on devait l’attendre, Fanny et Élisa ne firent pas cette distinction, et elle devint tout à fait impopulaire auprès d’elles. Mistress Pryor s’aperçut de l’effet produit : cela la rendait par moments mécontente d’elle-même pour des défauts qu’elle ne pouvait corriger, et par-dessus tout, morose, froide, taciturne.

Cette disposition cédait à l’influence de Caroline, mais à cette influence seulement. Les tendres soins et la naturelle affection de son enfant agissaient doucement sur elle. Sa froideur disparaissait, sa rigidité cédait : elle devenait souriante et flexible. Non que Caroline fit une verbeuse profession d’amour filial ; cela n’eût pas convenu à mistress Pryor : elle n’y eût vu qu’une preuve de dissimulation ; mais sa fille s’attachait à elle avec une soumission facile ; elle se confiait à elle