Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/437

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Souvent elle essayait, avec autant de douceur qu’elle le pouvait, de le guérir de ce culte fanatique des muses : c’était sa monomanie. Mais sur tout autre objet il était suffisamment sensé, et elle aimait à engager la conversation avec lui sur des sujets ordinaires. Il la questionnait quelquefois sur son domaine de Nunnely ; elle n’était que trop heureuse de répondre longuement à ses questions : elle ne manquait jamais de décrire l’antique prieuré, le parc sauvage avec ses grands arbres, la vieille église et le hameau enveloppés de verdure, et de lui conseiller de venir habiter le manoir de ses ancêtres.

Un peu à sa surprise, Philippe suivit son conseil à la lettre, et à l’époque où nous nous trouvons, vers la fin de septembre, il arriva au prieuré.

Il fit bientôt une visite à Fieldhead, et cette première visite ne fut pas la dernière. Il dit, lorsqu’il eut achevé le tour du voisinage, que sous aucun toit il n’avait trouvé un aussi agréable abri que sous les plafonds de chêne du vieux manoir de Briarfield, habitation assez modeste et étroite comparée à la sienne, mais qu’il aimait cependant.

Maintenant il ne lui suffisait plus de demeurer assis avec Shirley dans son parloir, où d’autres pouvaient aller et venir, et où il ne pouvait que rarement trouver l’occasion de lui montrer les dernières productions de sa muse féconde. Il avait besoin de la conduire à travers les riants pâturages et sur le bord des eaux tranquilles ; mais elle évitait ces errants tête-à-tête, et il organisa à son intention des parties sur ses propres terres, dans sa magnifique forêt, et dans des endroits plus éloignés, au milieu des bois coupés par la Æharfe et des vallées arrosées par l’Aire.

De semblables assiduités couvrirent miss Keeldar de distinction. L’esprit prophétique de son oncle y voyait déjà un splendide avenir. Il pressentait déjà le temps peu éloigné où, d’un air nonchalant, sa jambe gauche croisée sur sa jambe droite, il pourrait se permettre de familières allusions à son neveu le baronnet. Sa nièce ne lui paraissait plus une folle jeune fille, mais une femme pleine de sens. Dans ses dialogues confidentiels avec mistress Sympson il en parlait toujours comme d’une femme véritablement supérieure, originale, mais très-remarquable. Il la traitait avec une extrême déférence, se levait respectueusement pour ouvrir et fermer les portes pour elle ; se baissait si souvent pour ramasser un gant, un mou-