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Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/453

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vous paraissez à peine irritée, seulement résolue ; et cependant on sent qu’un obstacle qui traverserait votre chemin serait brisé comme par la foudre. Papa faiblit et appela M. Moore.

— Assez, Henry.

— Non, ce n’est pas assez. Je sais à peine comment s’y prit M. Moore ; je me souviens seulement qu’il donna à entendre à papa que cette agitation allait faire revenir sa goutte ; puis il parla tranquillement aux ladies, les engageant à sortir ; ensuite il vous dit, miss Shirley, que ce n’était pas le moment des paroles et des remontrances, mais que le thé venait d’être servi dans la salle d’étude, qu’il avait bien soif, et qu’il serait heureux que vous voulussiez bien pour l’instant laisser là vos bagages et venir préparer une tasse de thé pour lui et pour moi. Vous vîntes ; vous ne vouliez pas parler d’abord ; mais vous ne tardâtes pas à vous adoucir et à reprendre votre enjouement ordinaire. M. Moore se mit à vous parler du continent, de la guerre, de Bonaparte, sujet que nous aimions tous deux à entendre traiter. Après le thé, il nous dit que ni l’un ni l’autre ne devions le quitter de la soirée : il ne voulait pas nous perdre de vue, de peur qu’il ne nous arrivât quelque désagrément. Nous demeurâmes assis à chacun de ses côtés ; nous étions si heureux ! Je n’ai jamais passé une aussi agréable soirée. Le lendemain, il vous administra, miss, une mercuriale d’une heure, qu’il termina en vous disant d’apprendre dans Bossuet, comme punition, une pièce, le Cheval dompté. Vous l’apprîtes au lieu de faire vos malles, Shirley. Nous n’entendîmes plus parler de votre désertion. M. Moore vous tourmenta sur ce sujet pendant plus d’une année.

— Jamais elle n’a récité une leçon avec plus d’esprit, dit Moore. Elle me donna alors la satisfaction d’entendre pour la première fois ma langue maternelle parlée sans accent par une jeune fille anglaise.

— Pendant tout un mois elle fut aussi douce que des cerises d’été, dit Henry : une bonne et franche querelle laissait toujours le caractère de Shirley meilleur qu’elle ne l’avait trouvé.

— Vous parlez de moi comme si je n’étais pas présente, fit observer miss Keeldar, qui n’avait point encore relevé la tête.

— Êtes-vous bien sûre d’être présente ? demanda M. Moore ; il y a certains moments, depuis mon arrivée ici, où j’ai été