Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/460

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nouveau résolument joyeuse en société. Lorsqu’elle était fatiguée de l’effort et forcée de se relâcher, elle cherchait la solitude ; non la solitude de sa chambre, elle refusait de s’abêtir enfermée entre quatre murs, mais la plus sauvage solitude du dehors, qu’elle pouvait parcourir montée sur Zoé, sa jument. Elle faisait des courses à cheval d’une demi-journée. Son oncle la désapprouvait, mais n’osait lui faire de remontrances ; il n’était jamais agréable d’affronter la colère de Shirley, même lorsqu’elle était bien portante et gaie ; mais maintenant que son visage s’amaigrit, que son grand œil gris paraît creux, il y a quelque chose dans l’assombrissement de ce visage et le feu de cet œil qui à la fois touche et effraye.

Pour tous ceux qui, ignorants de l’altération de ses esprits, parlaient de l’altération de sa figure, elle avait la même réponse :

« Je suis parfaitement bien : je n’ai pas la moindre souffrance. »

Et vraiment, il fallait qu’elle eût de la santé pour supporter les intempéries du temps auxquelles elle s’exposait. Par la pluie ou le beau temps, le calme ou l’orage, elle faisait sa promenade quotidienne à cheval sur le marais de Stilbro’, Tartare courant à ses côtés avec son galop infatigable.

Deux fois, trois fois, les yeux des bavards, ces yeux qui sont partout, dans le cabinet et sur le sommet des montagnes, remarquèrent qu’au lieu de tourner sur Rushedge, point le plus élevé du marais de Stilbro’, elle allait tout droit vers la ville. Des espions ne manquèrent pas pour épier où elle se rendait ; on s’assura qu’elle descendait à la porte d’un M. Pearson Hall, solicitor, parent du vicaire de Nunnely : ce gentleman et ses ancêtres avaient été les agents de la famille Keeldar depuis plusieurs générations : quelques personnes affirmaient que miss Keeldar se trouvait enveloppée dans les affaires de la fabrique de Hollow ; qu’elle avait perdu de l’argent et était obligée d’engager son domaine ; d’autres conjecturaient qu’elle allait se marier, et qu’elle faisait préparer les arrangements préalables.

M. Moore et Henry Sympson étaient ensemble dans la salle d’étude ; le précepteur attendait une leçon que l’élève paraissait occupé à préparer.

« Henry, hâtez-vous ! L’après-midi tire à sa fin.

— Est-ce vrai, monsieur ?

— Certainement. N’êtes-vous pas bientôt prêt, avec cette leçon ?

— Non.