l’aimez pas. Vous êtes tous deux jeunes ; vous êtes tous deux beaux ; vous êtes tous deux assez bien partagés pour l’esprit, et même pour le caractère… prenez-vous du bon côté. Pourquoi ne pouviez-vous pas vous convenir ?
— Nous n’avons jamais été, nous ne pouvions être tout à fait à l’aise l’un avec l’autre. Nous admirant l’un l’autre lorsque nous étions à distance, nos caractères juraient de se trouver rapprochés. Assis à une extrémité de la chambre, je me suis pris quelquefois à l’observer de loin, peut-être dans un de ces moments de doux entrain, lorsqu’elle avait autour d’elle quelques-uns de ses favoris, ses vieux beaux, par exemple, vous et Helstone, avec qui elle est si folâtre, si aimable, si éloquente. Je l’ai observée dans les moments où elle était le plus naturelle, le plus vive, le plus aimable ; je l’ai trouvée belle, et elle est belle aussi par moments. Je me suis approché un peu plus près, pensant que les termes dans lesquels nous étions me donnaient le droit d’approcher ; je me suis joint au cercle qui entourait son siège, je me suis emparé de son regard, et j’ai dominé son attention ; alors nous avons engagé la conversation, et les autres, me croyant privilégié, se sont éloignés par degrés et nous ont laissés seuls. Étions-nous heureux dans ces tête-à-tête ? Pour ma part, je dois dire non. Toujours un sentiment de contrainte pesait sur moi ; toujours je me sentais disposé à me montrer sévère et étrange. Nous parlions de politique et d’affaires. Jamais aucun sentiment d’intimité n’ouvrait nos mœurs, ne fondait la glace de notre langage et ne le faisait couler libre et limpide. Si nous nous faisions des confidences, c’étaient des confidences du négoce, et non du foyer. Rien en elle ne provoquait mon affection, ne me rendait meilleur et plus aimable. Elle remuait mon cerveau et aiguisait ma pénétration ; jamais elle ne se glissait dans mon cœur pour en accélérer les battements ; et pour cette bonne raison, sans doute, que je n’avais pas le secret de lui inspirer de l’amour.
— Eh bien ! mon garçon, voilà une étrange chose. Je pourrais rire de toi, et mépriser tes raffinements ; mais comme il fait nuit noire et que nous sommes seuls, je ne crains pas de te dire que ton histoire me fait jeter un coup d’œil sur ma vie passée. Il y a vingt-cinq ans, j’essayai de persuader à une belle femme de m’aimer, et elle ne le voulut pas. Je n’avais pas la clef de son cœur. Pour moi, c’était un mur de pierre sans fenêtre et sans porte.