— Ainsi, vous avez triomphé en reconnaissant une compagne d’esclavage dans cette femme si belle, si impériale ?
— J’ai triomphé, Robert, vous dites vrai, si belle, si impériale.
— Vous le confessez, une compagne d’esclavage ?
— Je ne confesse rien ; mais je dis que la hautaine Shirley n’est pas plus libre que ne l’était Agar.
— Et qui, je vous prie, est l’Abraham, l’héroïque patriarche qui a accompli une telle conquête ?
— Vous parlez dédaigneusement, cyniquement et avec aigreur ; mais je veux vous faire changer de ton avant que je n’aie fini avec vous.
— Nous verrons cela : peut-elle épouser ce Cupidon ?
— Un Cupidon ! Il ressemble à peu près autant à Cupidon que vous à un Cyclope.
— Peut-elle l’épouser ?
— Vous le verrez.
— Je voudrais savoir son nom, Cary.
— Devinez-le.
— Est-ce quelqu’un du voisinage ?
— Oui, de la paroisse de Briarfield.
— Alors, c’est quelqu’un indigne d’elle. Je ne connais personne dans Briarfield qui soit son égal.
— Devinez.
— Impossible. Je pense qu’elle est frappée de vertige, et qu’après tout elle se plongera dans quelque absurdité. »
Caroline sourit.
« Approuvez-vous le choix ? demanda Moore.
— Entièrement, tout à fait.
— Alors, je donne ma langue aux chiens ; car la tête qui possède ces flots luxuriants de boucles brunes est une excellente petite machine pensante, très-régulière dans ses fonctions. Elle peut se vanter d’un jugement correct et ferme, qu’elle a hérité de « maman, » je suppose.
— Et j’ai approuvé tout à fait, et maman a été charmée.
— Maman charmée ! mistress Pryor ! Cela ne peut être romanesque alors ?
— C’est romanesque, mais c’est convenable aussi.
— Dites-moi ce secret, Cary ; par pitié, dites-le moi. Je suis trop faible pour endurer ce supplice de Tantale.
— Vous l’endurerez ; il ne vous fera pas de mal ; vous n’êtes pas si faible que vous le prétendez.