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Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/630

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bre, ce dont elle se vengeait par des cris perçants qui me traversaient la tête comme un coup de poignard. Elle savait que cela me faisait mal ; et, quand elle avait ainsi crié de toutes ses forces, elle me regardait d’un air de vengeance satisfaite et me disait : « Maintenant, êtes-vous contente ? voilà pour vous ! » Et elle se mettait de nouveau à crier si fort, que j’étais obligée de me boucher les oreilles. Souvent ces clameurs horribles étaient entendues de mistress Bloomfield, qui venait demander quelle en était la cause.

« Mary-Anne est une méchante fille.

— Mais quels sont ces cris agaçants ?

— Ce sont des cris de rage.

— Je n’ai jamais entendu pareil bruit ! On dirait que vous la tuez. Pourquoi n’est-elle pas dehors avec son frère ?

— Je ne puis obtenir qu’elle finisse sa leçon.

— Mais Mary-Anne doit être une bonne fille et finir ses leçons, disait-elle avec douceur à l’enfant. J’espère que je n’entendrai plus ces horribles cris. »

Et fixant sur moi son œil froid avec une expression sur laquelle je ne pouvais me méprendre, elle sortait et fermait la porte. Quelquefois j’imaginais de prendre la petite créature par surprise, et de lui demander le mot lorsqu’elle pensait à autre chose ; souvent elle commençait à le dire, puis s’interrompait tout à coup et me lançait un regard provocant qui semblait me dire : « Ah ! je suis trop fine pour vous, vous ne me prendrez pas ainsi par surprise ! »

En d’autres occasions, je faisais semblant d’oublier toute l’affaire ; je jouais et causais avec elle comme d’habitude jusqu’au soir, au moment de la coucher ; alors me penchant sur elle pendant qu’elle était toute gaie et souriante, et au moment de la quitter, je lui disais avec autant de bonté et de gaieté qu’auparavant :

« Maintenant, Mary-Anne, dites-moi ce mot avant que je vous embrasse et vous souhaite le bonsoir. Vous êtes une bonne fille, et certainement vous allez le dire.

— Non ! je ne veux pas.

— Alors, je ne puis vous embrasser.

— Eh bien ! cela m’est égal. »

Vainement j’exprimais mon chagrin ; vainement j’attendais qu’elle manifestât quelques symptômes de contrition ; elle me prouvait que « cela lui était égal, » et je la laissais seule et