Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/632

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

créature, adonnée à la dissimulation et au mensonge, toute jeune qu’elle fût, et aimant d’une façon alarmante à exercer ses deux armes de prédilection, d’offensive et de défensive, c’est-à-dire de cracher au visage de ceux qui encouraient son déplaisir, et de beugler comme un taureau lorsque ses désirs déraisonnables n’étaient pas accomplis. Comme elle était généralement assez tranquille en présence de ses parents, ceux-ci, persuadés que c’était une enfant très-douce, croyaient tous ses mensonges, et ses cris leur faisaient supposer quelque dur et injuste traitement de ma part ; et, quand à la fin ses mauvaises dispositions devinrent manifestes, même À leurs yeux prévenus, je sentis que tout le mal m’était attribué.

« Quelle méchante fille Fanny devient ! disait mistress Bloomfield à son mari. Ne remarquez-vous pas, mon cher, combien elle est changée depuis qu’elle a mis le pied dans la salle d’étude ? Elle sera bientôt aussi méchante que les deux autres ; et, je suis fâchée de le dire, ils se sont tout à fait corrompus depuis peu.

— Vous avez parfaitement raison, lui répondait-on. J’ai pensé la même chose moi-même. J’espérais qu’en prenant une gouvernante, les enfants s’amenderaient ; mais, au lieu de cela, ils deviennent plus méchants. Je ne sais ce qu’il en est de leur instruction ; mais leurs habitudes, je le sais, ne s’améliorent pas ! Ils deviennent plus sales, plus grossiers chaque jour. »

Je savais que ces paroles étaient dites à mon intention, et elles m’affectaient beaucoup plus que ne l’eussent fait des accusations directes ; car, contre ces dernières, j’aurais pu me défendre. Je pensai que le plus sage était de réprimer toute pensée de ressentiment, de vaincre mes répugnances et de persévérer à faire de mon mieux : car, quelque pénible que fût ma position, je désirais vivement la conserver. Il me semblait que, si je pouvais continuer à lutter avec fermeté et sagesse, ces enfants finiraient avec le temps par s’humaniser ; que chaque mois contribuerait à les rendre plus sages, et par conséquent plus gouvernables, car un enfant de neuf ou dix ans aussi indocile que ceux-ci l’étaient à six ou sept, serait un maniaque.

Je me flattais d’être utile à mes parents et à ma sœur en demeurant chez M. Bloomfield : car, si petit que fût mon salaire, je gagnais pourtant quelque chose, et, avec une stricte économie, je pouvais aisément mettre de côté quelque chose pour eux, s’ils voulaient me faire le plaisir de l’accepter. Puis, c’était de