Aller au contenu

Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/639

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la pluie, ils n’avaient pu sortir. Par quelque bonne fortune inespérée, ils avaient tous achevé leurs devoirs, et pourtant s’abstenaient de descendre pour ennuyer leurs parents, ce qui me déplaisait fort, mais ce que je ne pouvais guère empêcher les jours de pluie, car ils trouvaient en bas de la nouveauté et de l’amusement, surtout lorsqu’il y avait des visiteurs ; dans cette dernière occasion, leur mère, quoiqu’elle me commandât de les retenir dans la salle d’étude, ne les grondait jamais lorsqu’ils la quittaient, et ne se donnait aucune peine pour les renvoyer. Mais ce jour-là ils paraissaient satisfaits de rester, et, ce qui est plus étonnant encore, ils semblaient disposés à jouer ensemble, sans compter sur moi pour leur amusement et sans se quereller. Leur occupation était quelque peu singulière : ils étaient tous assis sur le parquet auprès de la fenêtre, sur un monceau de jouets brisés, ayant devant eux une quantité d’œufs d’oiseaux, ou plutôt de coques d’œufs, car le contenu heureusement en avait été extrait. Ils avaient brisé ces coques et les réduisaient en petits fragments ; à quelle fin, c’est ce que je ne pouvais imaginer ; mais, pendant qu’ils étaient calmes et ne faisaient rien de mal, je ne m’en préoccupais pas, et, dans un sentiment de bien-être inaccoutumé, je me tenais assise devant le feu, faisant les derniers points à la robe de la poupée de Mary-Anne, et me disposant, cela fait, à commencer une lettre à ma mère. Tout à coup la porte s’ouvrit, et la terrible tête de M. Bloomfield regarda à l’intérieur.

« Tout est bien tranquille ici ! que faites-vous donc ? dit-il.

— Pas de mal aujourd’hui, au moins, » pensai-je en moi-même.

Mais il était d’une opinion différente. S’avançant vers la fenêtre et voyant l’occupation des enfants, il s’écria avec humeur :

« Que diable faites-vous donc là ?

— Nous pulvérisons des coques d’œufs, papa, cria Tom.

— Vous osez faire une telle chose, petits démons ? Ne voyez-vous pas dans quel état vous mettez le tapis ? (Le tapis était en droguet brun et tout à fait commun.) Miss Grey, saviez-vous ce qu’ils faisaient ?

— Oui, monsieur.

— Vous le saviez !

— Oui.

— Vous le saviez ! et vous étiez là assise et les laissiez faire, sans un mot de reproche !

— Je ne pensais pas qu’ils fissent du mal.