Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/649

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— Je sais, Alice, que c’est mal de se tourmenter ainsi ; mais je ne puis m’en empêcher, et vous devez l’endurer de ma part.

— Je ne veux pas l’endurer si je peux vous changer, » répliqua ma mère.

Mais la rudesse de ses paroles était démentie par la tendre expression de sa voix et de son sourire ; mon père sourit donc de nouveau, d’une façon moins triste que d’habitude.

« Maman, dis-je aussitôt que je me trouvai seule avec elle, mon argent est bien peu de chose et ne peut durer longtemps ; si je pouvais l’augmenter, cela diminuerait l’anxiété de mon père, au moins sur un point. Je ne puis peindre comme Mary, et le mieux que je puisse faire, ce serait de chercher un autre emploi.

— Ainsi, vous feriez un nouvel essai, Agnès ?

— Je le ferais.

— Ma chère enfant, j’aurais cru que vous en aviez assez.

— Je sais que tout le monde ne ressemble pas à M. et à Mme Bloomfield.

— Il y en a qui sont pires, interrompit ma mère.

— Mais ils sont rares, je pense, et je suis sûre que tous les enfants ne sont pas comme les leurs : car Mary et moi ne leur ressemblions pas ; nous faisions toujours ce que vous nous commandiez, n’est-ce pas vrai ?

— Assez généralement ; mais je ne vous avais pas gâtées, et après tout vous n’étiez pas des anges pour la perfection : Mary avait un fond d’obstination calme, et vous aviez aussi quelques défauts de caractère ; mais, en somme, vous étiez de très-bonnes enfants.

— Je sais que j’étais quelquefois morose et de mauvaise humeur, et j’aurais été heureuse de voir les enfants confiés à mes soins de mauvaise humeur aussi : car alors, j’aurais pu les comprendre ; mais cela n’arrivait jamais, car rien ne les touchait et ne leur faisait honte : ils ne sentaient rien.

— S’ils ne sentaient rien, ce n’était pas leur faute : vous ne pouvez espérer que la pierre soit maniable comme l’argile.

— Non, mais il est toujours fort désagréable de vivre avec des créatures que l’on ne comprend pas et que rien n’impressionne. Vous ne pouvez les aimer ; et, si vous les aimez, votre affection est perdue : ils ne peuvent ni la rendre, ni l’apprécier, ni la comprendre. En admettant, ce qui est peu probable, que