Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/659

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et tyrannique ; mais, lorsqu’elle me connut mieux, elle mit de côté peu à peu ses airs, et par la suite me devint aussi profondément attachée qu’elle pouvait l’être à une personne de mon rang et de ma position : car rarement elle perdait de vue pour plus d’une demi-heure que j’étais la fille salariée d’un pauvre ecclésiastique. Et cependant je crois qu’elle me respectait plus qu’elle ne le croyait : car j’étais la seule personne dans la maison qui professât fermement de bons principes, qui dît habituellement la vérité, et qui essayât généralement de faire plier l’inclination devant le devoir. Je dis ceci non pour me louer, mais pour montrer le malheureux état de la famille à laquelle, pour le moment, étaient voués mes services. Il n’était aucun membre de cette famille chez lequel je regrettasse avec plus d’amertume ce manque de principes, que chez miss Murray elle-même, non-seulement parce qu’elle m’avait prise en affection, mais parce qu’il y avait en elle tant de qualités agréables et engageantes, qu’en dépit de ses imperfections je l’aimais réellement, quand elle n’excitait pas mon indignation ou n’irritait pas mon caractère par un trop grand étalage de ses défauts. Ces défauts, cependant, me persuadais-je volontiers, étaient plutôt le fruit de son éducation que de sa disposition naturelle. On ne lui avait jamais parfaitement enseigné la distinction entre le bien et le mal ; on lui avait permis, depuis son enfance, de même qu’à ses frères et à sa sœur, d’exercer une tyrannie sur les nourrices, les gouvernantes et les domestiques ; on ne lui avait pas appris à modérer ses désirs, à dominer son caractère, à mettre un frein à ses volontés, ou à sacrifier son propre plaisir pour le bien des autres. Son caractère étant généralement bon, elle ne se montrait jamais violente ni morose ; mais l’indulgence constante avec laquelle elle avait été traitée, et son mépris habituel de la raison, faisaient que souvent elle se montrait fantasque et capricieuse. Son esprit n’avait jamais été cultivé ; son intelligence était quelque peu superficielle ; elle possédait une grande vivacité, une certaine rapidité de perception et quelques dispositions à apprendre la musique et les langues ; mais jusqu’à quinze ans elle ne s’était donné aucune peine pour s’instruire, puis le désir de briller avait émoustillé ses facultés et l’avait poussée à l’étude, mais seulement des talents qui font briller. Lorsque j’arrivai, ce fut la même chose : tout fut négligé, à l’exception du français, de l’allemand, de la musique, du chant, de la danse et de quelques essais de dessin,