Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/697

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j’ai mentionnés ne faisait attention à moi, il m’était désagréable de marcher à côté de ces personnes comme si j’avais voulu entendre leur conversation ou faire croire que j’étais l’une d’elles ; et si, en parlant, leurs yeux venaient à tomber sur moi, il semblait qu’ils regardassent dans le vide, comme s’ils ne me voyaient pas ou étaient très-désireux de paraître ne pas me voir. Il était désagréable aussi de marcher derrière et de paraître ainsi reconnaître ma propre infériorité : car, à dire vrai, je me considérais comme aussi bonne que les meilleurs d’entre eux, et voulais le leur faire voir, afin qu’ils ne pussent s’imaginer que je me regardais comme une simple domestique qui connaissait trop bien sa place pour marcher à côté de belles ladies et de gentlemen comme eux, quoique ses jeunes élèves pussent condescendre à converser avec elle lorsqu’elles n’avaient pas meilleure compagnie sous la main. Ainsi, je suis presque honteuse de le confesser, je me donnais beaucoup de mal, si je marchais à côté d’eux, pour paraître ne me soucier nullement de leur présence, comme si j’eusse été entièrement absorbée dans mes pensées ou dans la contemplation des objets environnants ; ou, si je restais en arrière, c’était quelque oiseau ou quelque insecte, un arbre ou une fleur, qui attiraient mon attention, et, après les avoir examinés, je continuais seule ma promenade d’un pas lent, jusqu’à ce que mes élèves eussent dit adieu à leurs compagnons et eussent tourné par la route calme qui conduisait à la maison.

Je me souviens tout particulièrement d’une de ces occasions : c’était par une charmante après-midi, vers la fin de mars ; M. Green et ses sœurs avaient renvoyé leur voiture vide, afin de jouir du beau soleil, de l’air embaumé et d’une promenade agréable avec leurs visiteurs, le capitaine un tel et le lieutenant un tel (une paire de damoiseaux militaires), et les misses Murray, qui tout naturellement s’étaient jointes à eux. Une telle société était des plus agréables pour Rosalie ; mais, ne la trouvant pas autant de mon goût, je demeurai en arrière et me mis à herboriser et à pratiquer l’entomologie le long des verts talus et des haies bourgeonnantes, jusqu’à ce que la compagnie fût considérablement en avance sur moi. Je pus entendre la douce chanson de la joyeuse alouette ; alors ma misanthropie commença à se fondre à l’air pur et sous les rayons doux et bienfaisants du soleil ; mais de tristes pensées de ma première enfance, des aspirations à des joies passées, ou vers une