une vision et ne put être retrouvé. Son élégie fut chantée dans la cuisine par Abraham, le fils et l’héritier de mistress Gale, jeune garçon de six ans ; il avait compté sur le retour du gâteau, et, quand sa mère rapporta le plat vide, il pleura amèrement.
Les vicaires, pendant ce temps, buvaient à petits coups leur vin, liqueur d’un cru médiocre et modérément estimée. M. Malone eût certainement préféré du whisky ; mais M. Donne, qui était Anglais, ne tenait pas à ce breuvage. En buvant, ils argumentaient non sur la politique, ni sur la philosophie ou la littérature ; ces questions étaient alors, comme toujours, sans intérêt pour eux ; pas même sur la théologie pratique ou doctrinale ; mais sur des points insignifiants de discipline ecclésiastique, frivolités et bagatelles pour tout le monde, excepté pour eux. M. Malone, qui s’arrangeait de façon à avoir deux verres de vin lorsque ses confrères se contentaient d’un seul, arriva peu à peu à l’hilarité qui lui était habituelle ; c’est-à-dire qu’il devint un peu insolent, dit de rudes choses avec un ton de fanfaron, et rit bruyamment de sa propre éloquence.
Chacun de ses compagnons devint à son tour le but de ses saillies. Malone avait à leur service un fonds de railleries qu’il avait coutume de leur décocher en toutes occasions ; il variait rarement son esprit ; il ne se trouvait point monotone, et se mettait fort peu en peine de l’opinion des autres. Pour M. Donne, ce furent des allusions à son extrême maigreur, à son nez en trompette ; de mordants sarcasmes sur un surtout râpé, couleur chocolat, qu’il avait coutume de porter toutes les fois qu’il pleuvait ou menaçait de pleuvoir ; des critiques sur un choix de locutions de cockney, et sur certains modes de prononciation qui appartenaient tout particulièrement à M. Donne, et certainement étaient dignes de remarque pour l’élégance et le fini qu’ils communiquaient à son style.
M. Sweeting fut raillé sur sa stature : c’était un petit homme, un enfant pour la taille et la corpulence, comparé à l’athlétique Malone ; sur son talent musical : il jouait de la flûte et chantait comme un séraphin (selon l’opinion de quelques jeunes dames de la paroisse). Il fut tourné en ridicule comme l’enfant gâté des dames, tourmenté à propos de son affection pour sa mère et sa sœur, dont il lui arrivait de parler de temps à autre en présence de son collègue.
Les victimes recevaient ces attaques chacune à sa manière :